Le microbiote, la clé de notre état de santé

Qui n’a jamais entendu parler du microbiote, qu’on appelle aussi flore intestinale ? Guilia Enders l’a révélé au grand public, nous vous proposons ici de prolonger l’exploration de ce monde au cœur de nos entrailles, de notre état de santé et d’une révolution médicale.

Dans le ventre de sa mère, le fœtus se développe dans un environnement dépourvu de bactéries. Au cours de la naissance, si le bébé naît par voie basse, il est imprégné, de la peau au tube digestif, en passant par son appareil respiratoire, du microbiome de sa mère et de tous les habitants qui y résident : le microbiote. Le bébé, ensemencé, est alors colonisé à son tour : il hérite d’un capital bactérien qui l’accompagnera toute sa vie, à condition qu’il en prenne soin. En naissant par césarienne, le nouveau-né n’aura pas cette qualité d’échange avec ces micro-organismes, il n’acquerra donc pas cette richesse, à moins qu’on ne lui donne à téter une tige cotonnée imprégnée des sécrétions vaginales de sa mère, un véritable cocktail de bactéries.

Démarre alors une relation mutuelle, ancestrale et harmonieuse : les micro-organismes nourris et logés rendent à leur tour quantité de services. Nous pensons ici à Marcel Mauss et à sa théorie du don et contre-don, celle de la triple obligation « donner – recevoir – rendre », créant un état d’interdépendance. Se noue un lien de permanence entre l’homme et son microbiote, qui s’apportent mutuellement, sous certaines conditions.

Mais qui est ce « nouvel » organe depuis peu identifié comme étant « notre deuxième cerveau » ? Il a pour résidence principale le côlon, mais peut aussi séjourner dans l’intestin grêle et sur toutes nos muqueuses ouvertes sur l’extérieur (peau, bouche, nez, vagin, etc.). Il pèse entre 1 et 2 kg et compte pas moins de 100 000 milliards de micro-organismes : bactéries, virus, champignons et autres levures en interaction les uns avec les autres. En chacun de nous, chacun les siens, ils naissent, se reproduisent, meurent, se nourrissent et nourrissent, défèquent, travaillent, nettoient ou encore, combattent. Oui, 100 000 milliards, soit dix fois plus que le nombre de cellules qui constituent un corps humain. Serions-nous alors 10 % humain et 90 % microbien ? Ce nouvel organe, selon les recherches récentes et probablement des plus exaltantes pour le monde de la recherche qui se penche sur la question, se révèle être la clé de notre état de santé.

En prenant soin de son microbiote (nous verrons comment), il nous le rend très généreusement et avec une grande efficacité. Imaginez : il permet un nombre considérable de réactions biochimiques (autrement dit de fonctions), nombre non exhaustif à ce jour tant la recherche n’en est qu’à ses prémices, mais probablement équivalent à celles du foie. Voyons-les pêle-mêle :

• il participe à la digestion et à l’absorption des aliments, notamment au métabolisme des glucides,

• il maintient un bon fonctionnement de l’intestin et le protège contre les pathogènes, virus ou bactéries,

• il est central dans la stimulation, la régulation et la protection de l’immunité, donc sur l’état de santé,

• il protège contre le développement des allergies, des maladies auto-immunes et peut-être même de certains cancers (du côlon notamment),

• il améliore l’absorption de nombreux minéraux (calcium, zinc, magnésium, etc.) et fabrique certaines vitamines (K et quelques-unes du groupe B),

• il module le métabolisme et joue ainsi un rôle dans le stockage des graisses, donc dans la prise ou la perte de poids,

• il influence les humeurs et les émotions, autrement dit notre état émotionnel (anxiété, dépression, stress / bien-être) en sécrétant différentes molécules, des neurotransmetteurs qui communiquent avec le cerveau (GABA ou sérotonine qui, par exemple, est produite à 90 % dans l’intestin).

Et ce n’est probablement pas tout. En somme, le microbiote joue un rôle essentiel dans notre bonne, ou mauvaise, santé.

Si le microbiote est au cœur d’une révolution médicale, tant le champ révèle des connaissances insoupçonnées et ouvre des perspectives inimaginées jusque-là, les spécialistes du monde entier s’alarment : aujourd’hui, 1/4 de la population humaine a un microbiote appauvri, qui a perdu une partie de sa diversité microbienne. C’est-à-dire qu’une personne sur quatre a un bilan sanguin mitigé et un risque accru de développer une maladie. Une personne sur quatre n’est donc pas en bonne santé, puisque plus on perd en diversité, plus on réduit les réactions biochimiques qu’offre le microbiote et plus le risque est élevé de tomber malade. Les chercheurs s’inquiètent des conséquences de la disparition irréversible de certaines bactéries et celle du déséquilibre de la flore intestinale. En somme, ce monde est aussi menacé que peuvent l’être la diversité des espèces végétales et animales. Des études de terrain en Afrique noire et en Amérique du Sud, là où la modernité n’a presque rien touché, ont révélé que la diversité du microbiote des populations vivant de la chasse et de la cueillette est quasiment de 50 % supérieure à celle des Occidentaux.

Les modes de vie contemporains ont manifestement largement contribué à dégrader la diversité des espèces naturelles microscopiques. En effet, plus la population est dite moderne, industrialisée, plus sa diversité microbienne est altérée. Il n’y a pas un facteur d’appauvrissement, mais plusieurs qui contribuent et ce, à bas bruit. L’un d’eux fait néanmoins l’unanimité parmi les spécialistes en termes d’effets les plus graves sur l’état de l’écosystème intestinal : il s’agit de l’antibiothérapie répétitive [littéralement, anti-biotique signifie « contre la vie »]. La prescription des antibiotiques n’a cessé d’augmenter ces 60 dernières années. Le traitement détruit, sans distinction, telle une bombe, bactéries pathogènes et bactéries biotiques, celles qui donnent la vie, plutôt qu’elles la prennent, en protégeant l’immunité. Jusqu’à décimer celles peu représentées, qui vivent en petite communauté. Même une antibiothérapie de courte durée peut avoir des effets à long terme, tels qu’une modification du métabolisme (prise de poids), l’altération du système immunitaire, ou encore le développement d’une inflammation du côlon ou de l’asthme. La période d’exposition est particulièrement délétère, selon que l’on administre des antibiotiques avant ou après maturation du système immunitaire. Dans les premiers mois de vie, les conséquences pourraient être graves et expliquer, entre autres, le risque de développer surpoids, asthme, allergies ou maladies auto-immunes pendant l’enfance. Le microbiote est alors modifié pour la vie durant.

Le mode d’accouchement par césarienne est une autre cause de microbiote pauvre et déséquilibré. Nous l’avons vu, le passage du nouveau-né par voie basse l’imprègne naturellement du microbiote de sa mère. Ce premier ensemencement a une influence durable dans la vie de l’enfant, aussi bien tant dans le développement et la maturation du système immunitaire que dans la prévention des maladies liées à la déforestation de l’écosystème intestinal. Ce que ne permet pas une césarienne. Or le recours à cette pratique est en constante augmentation, notamment en Chine et au Brésil où certaines maternités affichent jusqu’à 90 % de césariennes pratiquées. Si elle s’avère vitale dans bon nombre de situations, pour le nourrisson ou sa mère, le recours accru s’explique aussi par le confort de ce mode d’accouchement. Cependant, les bébés nés par césarienne ne bénéficieront pas d’une réelle diversité de bactéries intestinales, voire seront privés de certaines espèces.

Des souris,
que l’on a nourries
avec des aliments pauvres en fibres,
ont vu
leur microbiote
se réduire
de moitié
en seulement
quatre générations.

L’alimentation peut être aussi un facteur d’appauvrissement du microbiote. Un régime alimentaire pauvre en fibres, riche en sucres et en additifs ou encore hyper-protéiné conduit inévitablement à perdre en diversité et surtout, à fragiliser son microbiote. Le priver de fibres revient à l’affamer. En revanche, consommer suffisamment de végétaux, sources de ces fibres fermentescibles appelées prébiotiques solubles, permet au microbiote de préserver sa richesse et sa santé. Bien nourri, il sera en mesure de fabriquer des acides gras à chaîne courte aux effets anti-inflammatoires, des molécules protectrices apparentées à de véritables petits médicaments. Autrement dit, moins notre alimentation est transformée, moins elle est contaminée (résidus de pesticides et d’antibiothérapie animale notamment), plus nos micro-organismes intestinaux nous le rendent bien. En définitive, appauvrir son alimentation en fibres revient à appauvrir son microbiote, donc sa capacité à rester en bonne santé.

Les additifs alimentaires sont aussi en ligne de mire. Émulsifiants, épaississants, sulfites sont autant de molécules néfastes pour le microbiote. Ils contribuent à le dépouiller, causant des dérégulations métaboliques (obésité, diabète de type 2), et à le perturber, provoquant des troubles de l’humeur ou du comportement. Enfin, ils tendent à endommager la barrière intestinale, causant réactions inflammatoires et maladies chroniques de l’intestin (Crohn, recto-colite hémorragique, etc.). Ces nouvelles molécules n’ont pas été testées sur la flore intestinale avant d’être autorisées sur le marché, or les études liant microbiote et pathologies d’industrialisation foisonnent. Pour autant, ces additifs alimentaires sont consommés quotidiennement dans le monde.

La médecine conventionnelle reconnaît elle-même qu’elle ne guérit pas la plupart des maladies, et notamment celles dites d’industrialisation (maladies métaboliques, cardiovasculaires, chroniques, fonctionnelles, dégénératives). Les traitements allopathiques, s’ils parviennent à les contrôler ou à soulager quelque-uns des symptômes, ne les guérissent pas. Parallèlement, le monde de la recherche en immunologie et bactériologie découvre peu à peu ce monde microscopique. Premier constat unanime : plus un microbiote est en bonne santé, autrement dit, présentant une grande diversité d’espèces microbiennes, plus l’individu porteur est lui-même en bonne santé. A contrario, plus un microbiote est appauvri, plus les risques sont grands de développer une maladie ou de voir celle-ci s’aggraver vers des stades plus sévères.

Un déséquilibre ou un appauvrissement du microbiote ouvre alors la voie aux bactéries pathogènes ou opportunistes qui peuvent pulluler en toute impunité, l’immunité étant fragilisée. On parle alors de dysbiose. Les « bonnes » bactéries étant diminuées, elles ne parviennent plus à jouer leur rôle protecteur. Le bateau prend l’eau, l’organisme n’est plus à l’abri de :
– perturbation du mécanisme de tolérance alimentaire, qui entraîne un développement d’intolérances, d’hypersensibilité, d’allergies alimentaires,
– syndrome métabolique (obésité, diabète de type 2, hypertension, maladies cardiovasculaires),
– troubles de l’humeur ou du comportement,
– pathologies inflammatoires de l’intestin,
– et bien d’autres.

Nous ne rentrerons pas dans le monde fascinant de la recherche (INRA notamment) qui, en extrayant l’ADN des bactéries dans les selles, identifie peu à peu les gènes qu’elles renferment et établit une typographie de ces micro-organismes. Certains pourraient mettre un terme à la maladie de Crohn, d’autres guérir en 24h les malades souffrant d’une prolifération mortelle de bactéries pathogènes (Clostridium difficile). Le traitement ? Une transplantion de microbiote fécal (TMF), des selles humaines recueillies pour leurs bactéries présentes, pour soigner les patients qui les ont perdues. Pour l’heure, seul Clostridium difficile fait l’objet, aux États-Unis notamment, d’une greffe de selles, tandis que de nombreuses études sont en cours pour venir à bout des maladies intestinales, de l’obésité, de l’autisme ou encore de certains cancers.

Si la diversité microbienne continue ainsi de péricliter, la génération qui arrive devrait être la plus malade de l’histoire de l’Humanité. Des start-up (déjà en plein essor aux USA) anticipent cette perspective, en concevant les médicaments de l’avenir : des pilules de fèces. La technique : congeler aujourd’hui des milliers de bactéries biotiques, afin de les préserver, pour les conditionner demain sous forme de pilules ou de solutions à administrer aux personnes malades qui auront perdu leurs bactéries guérisseuses. Un marché probablement exponentiel.

La solution ne serait-elle pas plutôt de drastiquement réduire les antibiothérapies et de (re)donner à manger des fibres, en quantité suffisante, à notre microbiote ? Pour préserver ou retrouver ainsi les bactéries essentielles à notre équilibre et notre état de santé, des micro-organismes capables de changer la fréquence des maladies les plus répandues et les plus graves. En six semaines, un régime riche en fibres permettrait de gagner 30% de diversité microbienne, en consommant 25 fruits et légumes différents chaque semaine : des fruits et légumes, en variant les couleurs, mais aussi des céréales complètes, des légumineuses, des noix et des graines, des aliments lacto-fermentés (légumes, kefir, miso, kumbucha, etc.), ou encore des pâtes complètes ou semi-complètes ou des pommes de terre cuites al dente et mangées refroidies, des amidons qu’on appelle résistants, un festin pour notre microbiote.

Il s’agit aujourd’hui de pallier l’irresponsabilité collective, qu’elle soit celle des décideurs politiques, des lobbies mais aussi des consommateurs. La solution pourrait être de ne pas, une fois de plus, recourir au curatif-lucratif, mais d’en appeler au bon sens et à la prévention : si notre état de santé dépend de notre microbiote et que celui-ci a besoin de suffisamment de fibres pour être en bonne santé, alors mangeons-en suffisamment et cessons de consommer quotidiennement des aliments qui en sont dépourvus.

Illustrations : Manon Radicchi

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