Comme la grande majorité d’entre vous, nous scrollons ou, en bon français, faisons défiler les contenus d’Instagram sur notre petit écran. Son algorithme nous a très vite repérés : deux vidéos sur trois présentent des recettes saines, dites healthy. Il n’est pas question ici de vous raconter notre vie, mais de vous faire part d’un constat que nous avons fait.
Ces recettes ont le plus souvent recours à un blender, encore un anglicisme traduisible par « mélangeur ». Un blender permet de transformer un aliment solide en une forme mixée, concassée, visqueuse, de poudre voire liquide, pour peu que l’on ajoute un peu d’eau ou d’huile. Dans les recettes repérées, aussi appétissantes les unes que les autres, tout y passe : les fruits, frais ou séchés et même en compote de fruits déjà mixés, les légumes, les céréales, entières ou en flocons, les légumineuses, la grande famille des noix et des graines, etc. À chaque fois, notre enthousiasme à la perspective de réaliser une recette a rapidement laissé place à un doute : la matrice de ces aliments n’est-elle pas, ainsi, altérée ? Aussi, nous avons posé la question à notre ami et référent scientifique Anthony Fardet, grand spécialiste en la matière, qui nous a répondu que si, dès lors que l’on brise la matrice d’un aliment entier et solide, en le mixant, il ne présente plus les mêmes intérêts nutritionnels.
Nous ne passons que peu de temps sur Instagram et déjà, voici notre liste de recettes sucrées, salées ou les deux, toutes aussi déclinables les unes que les autres. Nous les avons classées, pour s’y retrouver. Les pâtes à : crêpes, galettes, pancakes, blinis, wraps, pains, tartes, cakes, gâteaux, donuts, pâtés ou fromages végétaux, fudges, boulettes et falafels Les tartinables : verrines, houmous, crèmes, mousses Les purées : purées lisses, oléagineux Les encas : barres, bouchées, energy balls Les liquides : smoothies, jus, gaspacho, veloutés, soupes liquides, laits végétaux Les glacés : glaces et sorbets
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Toutes ces recettes impliquent de mixer les ingrédients qui les composent.
La matrice alimentaire, qu’est-ce que c’est ?
Nous ne rentrerons pas ici dans le (passionnant) débat des approches réductionniste vs holistique traitée ailleurs, mais nous concentrerons sur l’« effet matrice » ainsi défini : « Dès lors que deux aliments, ayant une composition strictement identique, ont une matrice (mater, mère) différente, ils n’ont plus le même impact sur l’organisme et, par extension, sur la santé. » La matrice est l’interaction ou assemblage complexe entre les différents constituants ou nutriments d’un aliment, à savoir les glucides, les lipides, les protéines, les vitamines, les minéraux, les antioxydants, les fibres, etc.
Il existe plusieurs niveaux de structure dans la matrice alimentaire : • moléculaire : la nature des molécules, leur arrangement, la cristallinité ou encore le degré de polymérisation, • microscopique : les interactions entre les nutriments, • macroscopique : la forme et la couleur de l’aliment, ainsi que la taille des particules post-mastication.
Les procédés technologiques, qu’ils soient domestiques ou industriels, jouent également un rôle important dans la matrice, en lui attribuant des propriétés spécifiques (forme, couleur, densité, interaction entre les nutriments, degré de gélatinisation des amidons, dénaturation des protéines, etc.). Par conséquent, sans parler d’ultra-transformation, le degré de transformation des aliments est un élément essentiel, puisqu’il conditionne leur potentiel santé.
La structure de la matrice alimentaire joue un rôle essentiel sur la biodisponibilité des nutriments et micro-nutriments, ayant un impact sur leur vitesse d’absorption par l’organisme et une action sur le métabolisme glucidique, lipidique ou protéique, en tant que modulateur de l’impact de ces nutriments. Elle intervient, en outre, sur l’arrivée du glucose dans le sang, modulée par le degré de cristallinité de l’amidon (glucides).
Pomme et pomme
Nous aimons bien prendre l’exemple d’une pomme, qui se prête à merveille à la démonstration. Lorsqu’elle est consommée entière, croquée à pleines dents, une pomme entraîne une bien meilleure réponse insulinique qu’une autre qui aura été réduite en compote, un produit devenu mou et mastiqué moins longtemps. Elle le sera encore davantage comparée à une pomme pressée en jus, donc liquide, dont la réponse de satiété est minimale. Pourtant, ces deux produits sont élaborés à partir des mêmes pommes. La problématique n’est donc pas celle de la composition nutritionnelle d’une pomme, mais bel et bien de sa matrice et de sa structure physique, résultant du degré de transformation.
Tout végétal, coloré ou pas, contient naturellement des antioxydants, des composés phyto-chimiques combinés permettant d’obtenir de nombreux bienfaits pour être et rester en bonne santé. La synergie d’actions entre les antioxydants est fondamentale pour en bénéficier de manière optimale. Certes, la forme liquide permet une absorption accélérée comparée à la forme solide – un temps supplémentaire est alors requis, encore faut-il avoir pu préserver cette synergie. De fait, la prise d’antioxydants isolés, sous forme de compléments alimentaires par ailleurs coûteux et souvent additionnés de composants inutiles voire nuisibles pour la santé, a perdu en chemin cette précieuse synergie.
Matrice laitière
Le métabolisme des glucides, avec l’indice glycémique aujourd’hui connu et reconnu, a le vent en poupe. Pourtant, celui des protéines mérite tout autant notre attention. La déconstruction de la matrice entraîne aussi une fraction protéique, par exemple entre la caséine et le lactosérum d’un lait animal, entraînant un impact sur le métabolisme des protéines. La réponse en acide aminé sera plus ou moins lente et étalée dans le temps, comme celle de l’absorption des micronutriments. En effet, la biodisponibilité – par exemple celle du calcium – dans un produit laitier naturellement structuré tendra à être active plus lentement et progressivement que ce même produit laitier s’il est déstructuré.
Enfin les calories seront libérées, elles-aussi, de manière différente dans l’organisme selon l’état de la matrice d’un aliment. En définitive, la déstructuration de la matrice produit un effet métabolique différent.
Effet matrice et effet satiétogène
L’effet satiétogène, un paramètre santé crucial et pourtant largement négligé notamment par rapport aux problèmes d’obésité, entraîne, selon la matrice d’un aliment, une réponse maximale avec les aliments solides et entiers, ou bien minimale, avec ceux devenus visqueux, semi-solides et plus encore, liquides.
La mastication et le contact avec la muqueuse digestive, tout le long du transit, sont requis pour une meilleure sécrétion des hormones de satiété. Aussi, retenons que, plus un aliment est transformé, plus son impact glycémique est élevé, moins il est satiétogène et plus il appellera au grignotage. La relation de transitivité entre degré de transformation, glycémie et satiété est aujourd’hui bien démontrée pour les féculents.
Les fibres aussi jouent un rôle majeur dans l’effet « matrice ». En procurant de la structure aux aliments, ils favorisent la satiété. En revanche, l’enrichissement d’aliments très raffinés avec des extraits de fibres n’a pas le même effet nutritionnel que celui des fibres naturellement présentes dans la matrice d’un aliment entier. L’exemple le plus parlant est ici le pain de mie « enrichi en fibres », fabriqué à partir de composés décomposés puis recomposés. Pourquoi faire simple ?
L’effet matrice est, en définitive, la synergie des éléments nutritifs et autres substances bio-actives que contient tout aliment entier, synergie combinée par Dame Nature pour les organismes d’omnivores que nous sommes : des céréales complètes, des légumineuses, des noix diverses et variées consommées entières. Idem pour les fruits et les légumes, les produits animaux et le reste.
Bien sûr, tout cela ne doit pas nous empêcher de mixer nos aliments, mais la forme entière gagne à être privilégiée, les textures semi-solides ou visqueuses voire liquides, à devenir plus occasionnelles. Aussi, les influenceurs d’Instragram et autres réseaux sociaux en matière de cuisine healthy sont-ils invités à nous concocter de délicieuses recettes vraiment santé, en priorisant les aliments solides.
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Comme la grande majorité d’entre vous, nous scrollons ou, en bon français, faisons défiler les contenus d’Instagram sur notre petit écran. Son algorithme nous a très vite repérés : deux vidéos sur trois présentent des recettes saines, dites healthy. Il n’est pas question ici de vous raconter notre vie, mais de vous faire part d’un constat que nous avons fait.
Ces recettes ont le plus souvent recours à un blender, encore un anglicisme traduisible par « mélangeur ». Un blender permet de transformer un aliment solide en une forme mixée, concassée, visqueuse, de poudre voire liquide, pour peu que l’on ajoute un peu d’eau ou d’huile. Dans les recettes repérées, aussi appétissantes les unes que les autres, tout y passe : les fruits, frais ou séchés et même en compote de fruits déjà mixés, les légumes, les céréales, entières ou en flocons, les légumineuses, la grande famille des noix et des graines, etc. À chaque fois, notre enthousiasme à la perspective de réaliser une recette a rapidement laissé place à un doute : la matrice de ces aliments n’est-elle pas, ainsi, altérée ? Aussi, nous avons posé la question à notre ami et référent scientifique Anthony Fardet, grand spécialiste en la matière, qui nous a répondu que si, dès lors que l’on brise la matrice d’un aliment entier et solide, en le mixant, il ne présente plus les mêmes intérêts nutritionnels.
Nous ne passons que peu de temps sur Instagram et déjà, voici notre liste de recettes sucrées, salées ou les deux, toutes aussi déclinables les unes que les autres. Nous les avons classées, pour s’y retrouver.
Les pâtes à : crêpes, galettes, pancakes, blinis, wraps, pains, tartes, cakes, gâteaux, donuts, pâtés ou fromages végétaux, fudges, boulettes et falafels
Les tartinables : verrines, houmous, crèmes, mousses
Les purées : purées lisses, oléagineux
Les encas : barres, bouchées, energy balls
Les liquides : smoothies, jus, gaspacho, veloutés, soupes liquides, laits végétaux
Les glacés : glaces et sorbets
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Toutes ces recettes impliquent de mixer les ingrédients qui les composent.
La matrice alimentaire, qu’est-ce que c’est ?
Nous ne rentrerons pas ici dans le (passionnant) débat des approches réductionniste vs holistique traitée ailleurs, mais nous concentrerons sur l’« effet matrice » ainsi défini : « Dès lors que deux aliments, ayant une composition strictement identique, ont une matrice (mater, mère) différente, ils n’ont plus le même impact sur l’organisme et, par extension, sur la santé. » La matrice est l’interaction ou assemblage complexe entre les différents constituants ou nutriments d’un aliment, à savoir les glucides, les lipides, les protéines, les vitamines, les minéraux, les antioxydants, les fibres, etc.
Il existe plusieurs niveaux de structure dans la matrice alimentaire :
• moléculaire : la nature des molécules, leur arrangement, la cristallinité ou encore le degré de polymérisation,
• microscopique : les interactions entre les nutriments,
• macroscopique : la forme et la couleur de l’aliment, ainsi que la taille des particules post-mastication.
Les procédés technologiques, qu’ils soient domestiques ou industriels, jouent également un rôle important dans la matrice, en lui attribuant des propriétés spécifiques (forme, couleur, densité, interaction entre les nutriments, degré de gélatinisation des amidons, dénaturation des protéines, etc.). Par conséquent, sans parler d’ultra-transformation, le degré de transformation des aliments est un élément essentiel, puisqu’il conditionne leur potentiel santé.
La structure de la matrice alimentaire joue un rôle essentiel sur la biodisponibilité des nutriments et micro-nutriments, ayant un impact sur leur vitesse d’absorption par l’organisme et une action sur le métabolisme glucidique, lipidique ou protéique, en tant que modulateur de l’impact de ces nutriments. Elle intervient, en outre, sur l’arrivée du glucose dans le sang, modulée par le degré de cristallinité de l’amidon (glucides).
Pomme et pomme
Nous aimons bien prendre l’exemple d’une pomme, qui se prête à merveille à la démonstration. Lorsqu’elle est consommée entière, croquée à pleines dents, une pomme entraîne une bien meilleure réponse insulinique qu’une autre qui aura été réduite en compote, un produit devenu mou et mastiqué moins longtemps. Elle le sera encore davantage comparée à une pomme pressée en jus, donc liquide, dont la réponse de satiété est minimale. Pourtant, ces deux produits sont élaborés à partir des mêmes pommes. La problématique n’est donc pas celle de la composition nutritionnelle d’une pomme, mais bel et bien de sa matrice et de sa structure physique, résultant du degré de transformation.
Tout végétal, coloré ou pas, contient naturellement des antioxydants, des composés phyto-chimiques combinés permettant d’obtenir de nombreux bienfaits pour être et rester en bonne santé. La synergie d’actions entre les antioxydants est fondamentale pour en bénéficier de manière optimale. Certes, la forme liquide permet une absorption accélérée comparée à la forme solide – un temps supplémentaire est alors requis, encore faut-il avoir pu préserver cette synergie. De fait, la prise d’antioxydants isolés, sous forme de compléments alimentaires par ailleurs coûteux et souvent additionnés de composants inutiles voire nuisibles pour la santé, a perdu en chemin cette précieuse synergie.
Matrice laitière
Le métabolisme des glucides, avec l’indice glycémique aujourd’hui connu et reconnu, a le vent en poupe. Pourtant, celui des protéines mérite tout autant notre attention. La déconstruction de la matrice entraîne aussi une fraction protéique, par exemple entre la caséine et le lactosérum d’un lait animal, entraînant un impact sur le métabolisme des protéines. La réponse en acide aminé sera plus ou moins lente et étalée dans le temps, comme celle de l’absorption des micronutriments. En effet, la biodisponibilité – par exemple celle du calcium – dans un produit laitier naturellement structuré tendra à être active plus lentement et progressivement que ce même produit laitier s’il est déstructuré.
Enfin les calories seront libérées, elles-aussi, de manière différente dans l’organisme selon l’état de la matrice d’un aliment. En définitive, la déstructuration de la matrice produit un effet métabolique différent.
Effet matrice et effet satiétogène
L’effet satiétogène, un paramètre santé crucial et pourtant largement négligé notamment par rapport aux problèmes d’obésité, entraîne, selon la matrice d’un aliment, une réponse maximale avec les aliments solides et entiers, ou bien minimale, avec ceux devenus visqueux, semi-solides et plus encore, liquides.
La mastication et le contact avec la muqueuse digestive, tout le long du transit, sont requis pour une meilleure sécrétion des hormones de satiété. Aussi, retenons que, plus un aliment est transformé, plus son impact glycémique est élevé, moins il est satiétogène et plus il appellera au grignotage. La relation de transitivité entre degré de transformation, glycémie et satiété est aujourd’hui bien démontrée pour les féculents.
Les fibres aussi jouent un rôle majeur dans l’effet « matrice ». En procurant de la structure aux aliments, ils favorisent la satiété. En revanche, l’enrichissement d’aliments très raffinés avec des extraits de fibres n’a pas le même effet nutritionnel que celui des fibres naturellement présentes dans la matrice d’un aliment entier. L’exemple le plus parlant est ici le pain de mie « enrichi en fibres », fabriqué à partir de composés décomposés puis recomposés. Pourquoi faire simple ?
L’effet matrice est, en définitive, la synergie des éléments nutritifs et autres substances bio-actives que contient tout aliment entier, synergie combinée par Dame Nature pour les organismes d’omnivores que nous sommes : des céréales complètes, des légumineuses, des noix diverses et variées consommées entières. Idem pour les fruits et les légumes, les produits animaux et le reste.
Bien sûr, tout cela ne doit pas nous empêcher de mixer nos aliments, mais la forme entière gagne à être privilégiée, les textures semi-solides ou visqueuses voire liquides, à devenir plus occasionnelles. Aussi, les influenceurs d’Instragram et autres réseaux sociaux en matière de cuisine healthy sont-ils invités à nous concocter de délicieuses recettes vraiment santé, en priorisant les aliments solides.
Texte : Julie Lioré
Relecture : Anthony Fardet
Illustration : Josephine Delannoy
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