Ni vues ni connues

De quoi s’agit-il, pour peu qu’on ne soit pas économiste ni passionné de la chose ? Commençons par quelques définitions et nous finirons par retrouver notre fil d’Ariane, qui part de l’aliment pour aller vers l’environnement, en passant par le corps et la santé.

En tant que consommateur à petite échelle ou, à plus grande, s’agissant des industriels, nos actes et nos choix de consommation ou de pratique pour les uns, de production pour les autres, entraînent un certain nombre d’externalités envers un tiers ou un milieu, qui peuvent être positives (bienfaits) ou bien négatives (nuisances). Les deux sont hors coût et n’entraînent pas de contrepartie dans un sens, ni de dédommagement dans l’autre. Les externalités, d’un côté comme de l’autre, ont pourtant des conséquences non négligeables.

Ce n’est pas parce qu’on ne le voit pas, qu’on le ne paie pas et qu’on ne parle pas que ça n’existe pas.

En effet, aujourd’hui et au summum de la mondialisation, tout ou presque est sujet aux externalisations, bien plus largement négatives que positives. Or, le plus souvent, en tant qu’agent économique, comme nous nomme la science du même nom, sans être récompensé pour nos actes salutaires ni avoir à payer le coût de ceux qui nuisent, nous n’y pensons pas, ou très peu. Pourtant, accumuler ses mails dans sa boîte de réception, ses dossiers ou sa corbeille électronique, sans penser à faire du tri régulièrement, passer des heures sur Internet à ouvrir des dizaines d’onglets sans toujours penser à les refermer, s’abonner à quantité de lettres d’information rarement toutes lues sont autant de sources d’externalités négatives pour l’environnement. Et ce, sans que nous le sachions pour la plupart ou sans penser à nuire sciemment.

La dématérialisation a considérablement transformé notre rapport aux contenus et sûrement permis de faire reculer le gaspillage des ressources naturelles, telles que les forêts : plus de courriers papier, quels qu’ils soient, dans notre boîte aux lettres matérielle, ni de liasses de publicités commerciales (pour ceux qui ont apposé un « STOP PUB » sur leur boîte), de journaux ni de magazines (pour les abonnés web) ou encore, d’annuaire téléphonique annuel en double exemplaire.

Si cette externalité négative a considérablement réduit, elle en a entraîné une autre, bien plus dommageable : la pollution numérique. Les serveurs, qui permettent ce progrès sans précédent, requiert une énergie qui dépasse ce que l’on peut imaginer, au point de devoir être aujourd’hui implantés dans les pays les plus froids. N’en déplaisent à la flore et à la faune du grand Nord.

Il n’est évidemment pas question d’en appeler au boycott d’Internet ni de la technologie en général, mais de savoir ce qu’il en ressort et tâcher de rester raisonnable. Par exemple, faire ses recherches sur Internet à partir de favoris, de mots-clés précis ou d’adresses web (URL) connues permet de limiter la sollicitation de ces serveurs. Il est aussi bienvenu d’ouvrir peu d’onglets à la fois ou de penser à les refermer quand la recherche est terminée, de vider régulièrement ses caches et historique de navigation, de trier et de supprimer tout aussi régulièrement ses mails, spams, notifications et autres newsletters lues, d’utiliser des moteurs de recherche éco-responsables et des messageries à la fois éthiques et éco-responsables, d’activer les bloqueurs publicitaires ou encore, d’envoyer des pièces jointes préalablement allégées.

Le jour :
fonctions GPS,
wifi et Bluetooth
activées
que si nécessaire
La nuit :
mode économie d’énergie
et appareils éteints

Si les externalités sont négatives par la force des choses, nous pouvons, en tant que citoyen.ne, adopter des pratiques vertueuses pour en contrebalancer les effets. Il s’agit de trouver un équilibre. Par exemple, est-il préférable aujourd’hui de faire ses courses en voiture au supermarché ou en ligne, qui seront livrées au point relais du coin ? En termes d’externalités négatives, les deux se valent. En revanche, dès lors que le commerçant ou l’enseigne joue le jeu du respect de l’environnement, l’e-commerce peut gagner des points supplémentaires, davantage que son concurrent matériel. Dans ce dernier cas, les entrepôts sont moins climatisés et moins éclairés, ne recevant pas de public, les emballages peuvent être réutilisés et réutilisables à volonté façon Lavoisier, faits de matériaux plus respectueux pour l’environnement que le plastique, dont on sait aujourd’hui les conséquences environnementales, en privilégiant le vrac et le kraft notamment.

Quant au consommateur, sa contribution pour réduire la négativité ou augmenter la positivité de l’une ou de l’autre externalisation pourrait être de privilégier les commerces et marchés de proximité ou avoir recours à l’e-commerce made in France, de grouper ses achats pour aller au supermarché ou commander moins souvent. En somme, tout le monde a un rôle à jouer pour aller dans le bon sens.

Nous nous sommes un peu étendus sur ce point-ci, nous aurions tout aussi bien pu vous parler des externalités négatives de la pollution sonore, olfactive et environnementale de la circulation routière, urbaine ou interurbaine, dont l’exposition régulière augmente de nombreux risques sanitaires. Là encore, ni les conducteurs sur les passants ni les constructeurs sur la société toute entière ne prennent en charge les coûts sociétaux de ces différents types de pollution (pathologies, hospitalisation, etc.).

Prenons un dernier exemple, celui de l’amiante. Si son coût de vente avait intégré celui des cancers, des décès, des procès et du désamiantage des bâtiments, le matériau aurait été tout bonnement écarté, du fait d’être hors de prix.

Externalisations négatives et alimentation

Revenons à nos moutons. L’agriculture conventionnelle est aussi un secteur fécond en termes d’externalités négatives. Le coût des conséquences de l’épandage massif de produits phytosanitaires depuis des décennies est incommensurable. Il n’est d’ailleurs pas pris en compte. La biodiversité altérée, les sols asphyxiés, les eaux polluées, les espèces menacées et les citoyen.ne.s empoisonné.e.s ne sont pas, et n’ont jamais été dédommagés par les firmes qui les produisent ni par les agriculteurs qui les utilisent. Pourtant, le curatif, une fois que le mal est fait, coûte beaucoup plus cher que le préventif, autrement dit, avant qu’il ne survienne.

Le préventif est justement l’orientation que s’attache à prendre l’économie circulaire, en s’évertuant à ouvrir grand ses portes aux externalités positives et à les fermer aux négatives. Le principe étant d’aller vers le plus possible de bienfaits, sans contrepartie monétaire, qu’ils soient environnementaux, sociétaux, sanitaires, économiques, territoriaux, etc. C’est dans ce champ que l’agriculture biologique trouve ses racines. Pas de produits phytosanitaires de synthèse, ni d’engrais azotés et autres OGM, ainsi qu’un recours moindre aux antibiotiques, aux antiparasitaires et aux additifs alimentaires, qui sont autant de moyens pour limiter les conséquences pour l’environnement et la santé humaine. Consommer bio, autant que possible et, quelquefois, en bougeant le curseur de son budget de seulement quelques millimètres, un bio cultivé en saison et au plus près, mais aussi plus de végétaux que de produits animaux sont aujourd’hui de la responsabilité de chaque consommateur, dont le rôle est majeur pour faire bouger les lignes, tant politiques qu’industrielles.

Prenons un exemple, certes un peu simpliste, mais éloquent. Achetez et savourez une tomate qui aura poussé jusqu’à maturité en plein été, dans un champ non traité et non loin de là. Gorgée de soleil et de nutriments, elle vous apportera le meilleur. Les externalités positives sont ici flagrantes et tout le monde s’y retrouve, de la sécurité sociale aux abeilles en passant par votre microbiote. Inversement, en avalant régulièrement toutes sortes de produits ultra-transformés, les externalités négatives l’emportent : conçus par l’industrie, fabriqués en usine, à partir d’ingrédients crackés ou provenant de l’autre bout de la planète, relookés par un tas d’agents cosmétiques et tout juste mâchés, tant la texture n’en requiert pas davantage. Les externalités négatives ne sont pas difficiles à évaluer : le coût pour la santé humaine, en entraînant à moyen ou long terme des pathologies dites d’industrialisation, celui pour la société, qui perd en diversité alimentaire, ainsi que celui pour l’environnement, pour toutes les raisons que l’on sait aujourd’hui.

Certes, l’analyse des externalités, quelles qu’elles soient, est tout sauf simple. Toutefois, nous avons aujourd’hui suffisamment de recul sur quantité de pratiques, que nous savons délétères ou bien salutaires, pour peu qu’on aille chercher l’information. Les temps nous invitent à reprendre notre souveraineté : qu’il en soit ainsi, ré-envisageons notre responsabilité, en interrogeant nos actes et nos pratiques de consommation aujourd’hui, en nous demandant lesquels nous voudrions pour demain.

Texte : Julie Lioré
Illustration : Manon Radicchi

———

Vous avez apprécié cet article ? Vous souhaitez soutenir l’École des Aliments en faisant un don ponctuel ou mensuel ? Rendez-vous sur cette page. Merci !