Il était un œuf

Si l’on ignore encore qui, de la poule ou de l’œuf, a vu le jour en premier, on sait aujourd’hui que le profil nutritionnel d’un œuf dépend grandement de ce que mange la poule qui l’aura pondu. Nous ne partirons donc pas du « point de départ pour une dissertation philosophique sur la genèse des êtres » (G. Flaubert) qu’est l’œuf, mais de ses multiples intérêts nutritionnels et santé.

L’origine

L’écrasante majorité des œufs consommés aujourd’hui et en Occident sont ceux des poules, alors que dans l’histoire, nos ancêtres d’ici et d’ailleurs gobaient, quand l’occasion se présentait, des œufs de cailles, de canes, d’oies, de pintades, de faisanes, de pigeonnes, d’autruches, de tortues et même, d’alligators et de paons bleus. L’offre s’étant restreinte, les habitudes alimentaires l’ont été aussi. Toutefois, au tout début du printemps et sur les marchés en particulier, il n’est pas rare de trouver des œufs de cailles, réputés pour prévenir les différentes allergies (pollen, poussière, plume, poils, etc.) et temporiser l’asthme. Il existe aussi quelques exploitations agricoles proposant des œufs d’autruche, dont un seul suffit à nourrir une famille nombreuse.

Du cholestérol

Les œufs de poules, pour revenir à eux, traînent encore et toujours cette réputation tenace comme quoi, ils seraient mauvais pour notre santé cardio-vasculaire. Nous en sommes pourtant aujourd’hui revenus et même parvenus au contraire, dès lors que l’on part d’un principe très simple : manger de tout, en quantité raisonnable. En effet, la belle teneur en antioxydants des œufs leur permettrait de diminuer l’oxydation du « mauvais » cholestérol (LDL). D’ailleurs, ce Low Density Lipoprotein n’est pas à proprement parler du cholestérol, comme on a l’habitude de l’entendre, mais l’un des deux transporteurs des graisses, dont le cholestérol fait partie. Ce véhicule, à faible densité, aussi stable et robuste qu’un cyclomoteur, part du foie et se dirige vers les tissus de l’organisme : les risques d’oxydation ou inflammatoires sont plus grands. Le « bon » cholestérol ou High Density Lipoprotein est, en revanche, doté d’une haute densité : un vrai char d’assaut. Lui ramène les graisses en surplus des tissus au foie, qui va se charger de les utiliser, de les métaboliser ou de les éliminer.

L’œuf reste riche en cholestérol. Mais cessons de diaboliser cette molécule indispensable, en partie fabriquée par l’organisme et plus faiblement apportée par l’alimentation. Elle est essentielle pour synthétiser un certain nombre d’hormones, ainsi que la bile, requise pour une bonne digestion des graisses, et la vitamine D, capitale en hiver pour prévenir les infections virales. Le cholestérol permet aussi un bon fonctionnement du système nerveux et une bonne qualité des membranes cellulaires (l’enveloppe des cellules). Il s’agit simplement d’en consommer en quantité raisonnable, jusqu’à 6 par semaine pour un adulte, exception faite pour qui est atteint d’hypercholestérolémie familiale.

Aussi, si vous optez pour des œufs au petit déjeuner, vous court-circuiterez la synthèse de cholestérol, programmée aux premières heures du jour dans l’agenda du foie. Celui-ci pourra ainsi s’atteler à ses nombreuses tâches. Le soir, en revanche, les œufs sont moins bienvenus, puisqu’ils apportent du cholestérol à l’organisme, qui en a déjà suffisamment stocké à cette heure de la journée.

Des œufs d’or

Les œufs sont dotés d’une forte densité nutritionnelle, comptant en nombre des vitamines, des minéraux, des antioxydants, des acides gras équilibrés et des acides aminés au complet, pour une faible densité calorique.

50 % d’acides gras mono-insaturés,
15 % polyinsaturés
35 % saturés

Côté graisses, l’œuf a un profil lipidique parfaitement équilibré : quasiment deux tiers d’acides gras insaturés pour un tiers d’acides gras saturés. Or, les acides gras mono-insaturés sont de grands protecteurs des maladies cardio-vasculaires, en diminuant le « mauvais » cholestérol. Quant aux oméga-6 (acides gras polyinsaturés), ils ont un effet hypo-cholestérolémiant, tandis que les oméga-3 abaissent, non pas le cholestérol, mais les triglycérides.

La teneur des œufs en oméga-3 est notamment bénéfique pour les végétariens qui ne mangent pas de poisson, l’autre source rare, donc précieuse, et essentielle de DHA (acide docosahéxaénoïque), dont les apports ne sont pas toujours suffisamment couverts. Le DHA est synthétisé par l’organisme seulement à partir d’apport en oméga-3, qui en est le précurseur.

L’« œuf oméga-3 » de la filière Bleu-Blanc-Cœur.

Il s’avère aussi qu’en fonction de l’alimentation de la poule, lorsque celle-ci est enrichie en graines de lin, à l’excellent rapport entre oméga-6 (13%) et oméga-3 (53%), ainsi qu’en vitamine E, protectrice de l’oxydation des oméga-3, cet œuf appelé « œuf oméga-3 » n’entraîne tout simplement pas de hausse du taux de cholestérol. En revanche, faire picorer du grain de maïs, de surcroît issus de cultures OGM, à des poules ne fera qu’augmenter la teneur de leurs œufs en oméga-6, leur aspect pro-inflammatoire aussi.

Les œufs sont également une source de protéines de très bonne qualité, d’ailleurs dites de référence dans le monde des nutritionnistes. Effectivement, les œufs ont une haute valeur biologique puisqu’ils contiennent les huit acides aminés essentiels à la formation et à l’entretien de l’ensemble des tissus de l’organisme (peau, muscles, os). Peu calorique nous le disions, rassasiants et bon marché, même en bio : c’est la protéine parfaite. Enfin, contrairement à une idée reçue dans le monde du sport, le blanc n’est pas le seul à contenir des protéines (entre 3 et 4g, pour 2 à 3g pour le jaune). C’est en mangeant un œuf complet que l’on stimule au contraire la synthèse protéique.

Le jaune d’œuf doit sa couleur aux pigments antioxydants que sont la lutéine et la zéaxanthine, des caroténoïdes précurseurs de la vitamine A. Celle-ci a la caractéristique de prévenir les maladies liées au vieillissement (dégénérescence de la vue ou des artères). En Égypte antique, les œufs n’étaient pas pour rien des symboles de renaissance et de vie nouvelle ! Il est intéressant de savoir aussi que ces puissants antioxydants potentialisent ceux des végétaux qui en contiennent. Il est donc judicieux d’ajouter un ou deux œufs, selon ses besoins, à ses salades vertes ou composées.

Les œufs sont, en outre, une belle source de choline (environ 20 %). Bien qu’étant classée parmi les vitamines du groupe B, la choline est surtout un nutriment essentiel, qui a un rôle majeur dans le développement et le fonctionnement du cerveau, et notamment le centre de la mémoire. Les œufs sont donc vivement recommandés aux femmes enceintes et allaitantes, d’abord, pendant le développement embryonnaire, ensuite, au cours de la formation du cerveau de l’enfant. Chez les personnes âgées, la choline contribue à diminuer les risques de démences, ainsi qu’à maintenir et à réparer leurs fonctions cérébrales. La choline est, par ailleurs, un lipotrope prévenant foie gras et dépôts de triglycérides hépatiques, autrement dit, certaines graisses stockées dans le foie. Le jaune d’œuf est enfin une source alimentaire de vitamine D, l’une des rares avec le beurre et le foie de morue.

Dans la boîte

Il existe plusieurs catégories, de calibres et de codes d’œufs vendus dans le commerce ou sur les marchés. La catégorie A indique qu’un œuf est frais, ayant été pondu il y a moins de 28 jours. S’il est « extra-frais », il aura moins de 9 jours. La catégorie B est destinée à l’industrie agro-alimentaire. Les tailles d’un œuf vont du S au XL, soit de 53 à 73 grammes du plus petit au très gros œuf. Quant au code, imprimé sur la coquille, il renseigne de la qualité de l’œuf en général et des conditions de vie de la poule en particulier (de 0 à 3), ainsi que de leur origine (par exemple FR pour France et WFB02, qui identifie le producteur et le bâtiment de ponte).

Le code 0 est réservé aux œufs issus de l’agriculture biologique. Les poules sont élevées en plein air, avec un minimum de 4 m² par poule, pour se promener et se nourrir de végétaux au minimum à 90 % issus de l’agriculture bio et sans OGM, ou bien d’asticots, dont elles raffolent. Les œufs au code 1 sont ceux des poules qui ont accès, au cours de la journée, au plein air. Le reste du temps, elles partagent un espace clos de 2,5 m² par poule. Les œufs Label Rouge entre dans cette catégorie. Le code 2 est celui des œufs dont les poules n’ont pas accès au plein air ni à la lumière, sinon celle artificielle d’un hangar, dans lequel elles sont 9 au m². Le code 3 enfin, soit 90 % de la production, est attribué aux œufs des poules élevées en batterie artificiellement éclairée, soit 18 poules au m². Autrement dit, la surface de vie de chacune équivaut à une feuille A4, sur plusieurs étages de cages… à poules.

La fraîcheur d’un œuf est facile à vérifier : plus il coule au fond d’un récipient d’eau, plus il est frais. S’il flotte en revanche, c’est que vous avez trop attendu avant de manger votre œuf et que la bulle d’air, à l’intérieur de l’œuf, aura pris toute la place. Il est préférable alors de le jeter à la poubelle ou au compost. Ne lavez jamais une coquille d’œuf ! Vous lui retireriez sa protection anti-infectieuse et l’exposeriez à une potentielle attaque bactérienne. Les œufs se conservent très bien dans un endroit sec. S’ils ont été placés au réfrigérateur, ils doivent y rester et ne plus retourner à température ambiante : ils ne se conserveraient plus correctement.

Cocotte

Les protéines du blanc de l’œuf ne sont pas digestes quand il est cru, l’assimilation des précieux acides aminés ne se fait correctement que s’il est cuit. Aussi est-il indiqué de toujours bien faire cuire le blanc. Pour le jaune, c’est l’inverse : pour bénéficier au mieux des protéines, il est à consommer quasiment cru, sinon crémeux. Les recettes idéales sont donc les œufs à la coque (6 minutes dans l’eau bouillante), mollets, pochés ou encore, façon « la tête à Toto » : séparer les blancs des jaunes de deux œufs dans deux bols séparés, puis, dans une poêle légèrement chauffée avec ou sans matière grasse, verser et cuire le blanc comme une omelette. Une fois cuit, ajouter les deux jaunes un peu au dessus du cercle et retirer du feu peu après. La version légèrement brouillée donne l’impression de manger des nuages baignant dans un soleil couchant.

Les œufs ont été consommés de tous temps et partout dans le monde, ils figurent dans toutes les cultures culinaires et dans tous les régimes alimentaires, excepté dans celui des végétaliens et des « vegans ». Ils ont traversé les époques sans casse, sinon en termes de variétés des sources : la poule l’a emporté. L’œuf a également subi les méandres de la technologie, en se faisant « cracker », pour en extraire son albumine, ou bien déshydrater, pour être réduit en poudre. On le trouve enfin conditionné en tube, à destination notamment de la restauration collective.

Les œufs, aux protéines parfaites, aux graisses équilibrées, à la teneur en micronutriments essentiels, multiples et variés, ainsi qu’au prix modique, même de bonne qualité, invitent définitivement à mettre des œufs dans son panier pour être et rester en bonne santé.

Texte : Julie Lioré
Illustrations : Manon Radicchi

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