Gratitude

Des décennies durant, le gras a été accusé de rendre gros, d’élever le taux de cholestérol et de provoquer des maladies cardio-vasculaires. Or, nous savons aujourd’hui qu’il est, au contraire, essentiel pour notre métabolisme, nos cellules et nos hormones. Les graisses sont, en somme, bonnes pour notre santé. Néanmoins, toutes ne se valent pas.

Polymorphe

Lipide, corps ou acide gras, triglycéride, gras, graisse corporelle, qu’elle soit abdominale ou sous-cutanée et sous la forme de tissus adipeux, adipocyte, tous signifient plus ou moins la même chose, à la différence qu’ils ne se manifestent pas de la même manière ou ne se situent pas au même endroit.

Les lipides constituent la matière grasse des êtres vivants. Les acides gras en sont la forme simple ou substrat. Un corps gras est une substance composée de molécules ayant des propriétés hydrophobes, c’est-à-dire, qui ne se mélangent ou ne se dissolvent pas dans l’eau.

La graisse abdominale est celle située autour du ventre, dans les viscères. Sous-cutanée, elle est placée dans les tissus adipeux ou cellules grasses des fesses et des cuisses. La graisse peut aussi être plus mal placée, à savoir autour du foie, du cœur et autres organes.

Quant aux triglycérides, ils sont fabriqués par le foie à partir des sucres ingérés. Ils représentent une forme de réserve et une source d’ATP, qui fournit l’énergie nécessaire aux différentes fonctions de l’organisme. Ce sont eux qui sont stockés dans les tissus adipeux, vus plus haut, qu’on appelle aussi adipocytes.

 

Quels rôles joue la graisse ?

Ils sont nombreux et essentiels.

Les graisses structurent, en permettant l’intégrité, le maintien et la fluidité des cellules. La gaine de myéline, par exemple, qui isole et protège les fibres nerveuses du cerveau, un peu comme celle qui recouvre les fils électriques, est principalement faite de corps gras. Or, pour que l’information circule correctement, autant que ses circuits soient bien huilés.

Le gras est une réserve énergétique stockée dans les tissus adipeux et issue de la transformation, par le foie, de glucose (sucre) en triglycérides (graisse). Apprenons que la graisse abdominale (située autour du ventre) et celle sous-cutanée (au niveau des fesses et des cuisses) n’ont pas les mêmes conséquences sur l’état de santé : la première présente bien plus de risques que la seconde. Le gras est, en outre et de fait, un bon isolant thermique.

La graisse est fonctionnelle. Elle permet l’absorption et le transport des vitamines A, D, E et K, dites liposolubles (solubles dans la graisse), stockées dans le foie. La graisse est aussi un précurseur, c’est-à-dire qu’elle permet la synthèse (la fabrication) de nombreuses hormones, capables de communiquer avec d’autres organes, dont le cerveau, ainsi que d’autres substances (médiateurs d’inflammation notamment). Arrêtons-nous un instant sur l’une de ces hormones. Il s’agit de la leptine ou hormone de la satiété, qui prévient quand on n’a plus faim. Il s’avère que les cellules adipeuses en fabriquent en proportion de la quantité de graisse qu’elles ont en réserve. Si elles en ont trop, la résistance s’installe : la leptine ne parvient plus à se faire entendre et son taux s’effondre.

Nous savons aujourd’hui que la graisse corporelle est un organe à part entière, « tout comme le cœur et les poumons », écrivent les Dr Boon et Pr Van Rossum dans leur ouvrage Le charme secret de notre graisse (Actes Sud, 2020). Oui, la graisse de notre corps est non seulement l’un des plus grands organes, mais elle est surtout indispensable. N’en déplaise aux standards de beauté : sans graisse, point d’Humanité.

 

Mais voilà, tout est question d’équilibre, comme toujours. Qu’il n’y en ait pas assez ou trop, la machine se met à dysfonctionner : diabète, AVC, stérilité ou encore, dépression. Nous vous renvoyons ici à l’excellente lecture de nos deux spécialistes néerlandaises.

Graisse et graisse

Le gras, qu’on appelle savamment lipide ou acides gras, a deux origines alimentaires : animale et végétale. Issue du monde animal, la graisse des viandes, des poissons, des œufs ou encore, des laitages, est saturée, c’est-à-dire qu’elle reste solide à température ambiante. Le règne végétal a, lui aussi, quelques denrées saturées en graisse, comme l’avocat, la noix de coco et son huile, celle de palme ou encore, le beurre de cacao. La différence entre les deux est que les graisses saturées végétales ont la particularité d’être formées de chaînes courtes ou moyennes, contrairement au monde animal où les chaînes sont longues, voire très longues. Les acides gras saturés à chaîne courte ou moyenne ne sont pas traités de la même manière par l’organisme au moment de la digestion : ils ne sont pas stockés, mais directement utilisables par les cellules comme source d’énergie de réserve, tandis que les chaînes longues font le grand tour par le foie, pour être réservées, sous l’action de l’insuline, notamment dans les tissus adipeux sous forme de triglycérides.

Nous ne rentrerons pas ici dans le détail des acides gras saturés, fort nombreux et complexes, à savoir les acides butyrique (beurre, fromage), caprylique (coco, palme, cacao), caprique (fromage de chèvre), myristique, palmitique et autre stéarique. La meilleure façon de manger, édité par La Nutrition (Éditions T. Souccar), détaille très bien tout cela page 82. Nous vous invitons, en revanche, à vous méfier des graisses cachées, comme dans le Nutella® par exemple, qui comptabilise 30 % de matières grasses, entre l’huile de palme et les noisettes, ainsi que dans les viennoiseries et les laitages prétendument allégés.

Les acides gras trans peuvent être naturellement présents, en très petite quantité, dans les produits laitiers, la viande, le poisson ou encore, les fruits secs. Artificiellement, l’industrie agroalimentaire a recours à un procédé qui modifie la structure des huiles liquides, afin qu’elles soient moins sensibles à l’oxydation et solides à température ambiante. On les retrouve, en quantité réglementée et mentionnée sur l’étiquette en tant que « huiles ou graisses partiellement hydrogénées ou hydrogénées », dans les margarines et autres aliments ultra-transformés (AUT) (viennoiseries, biscuiteries, pâtisseries, pizzas, fritures, sauces industrielles).

Par exemple, une margarine qui se félicite d’apporter des oméga-3 les aura en réalité détruits : issu de fragiles huiles riches en oméga-3 qui ont été solidifiées, le produit fini devient bien plus nocif pour la santé que du beurre de qualité, aux acides gras naturellement saturés. La margarine aux huiles végétales ainsi durcies en fera de même de vos membranes cellulaires. La publicité vante et vend malgré tout le contraire.

Les recherches convergent pour alerter sur les conséquences, notamment cardio-vasculaires, d’une trop grande consommation de produits contenant ces acides gras trans industriels. Et bien que la quantité dans les produits soit limitée, consommer des AUT en grande quantité revient à consommer des acides gras trans industriels en excès.

Les acides gras mono-insaturés, appelés aussi acide oléique et oméga-9 ou bien oméga-7, peuvent être apportés par l’alimentation ou bien synthétisés par l’organisme à partir d’acides gras non essentiels, c’est-à-dire que l’organisme ne sait fabriquer et sur lesquels nous reviendrons. Ces graisses sont, en quelque sorte, à mi-chemin entre les graisses saturées (solides) et polyinsaturées (fluides).

On les retrouve dans les olives et leur huile (73 %), la graisse d’oie (56 %) et de canard (49 %), les huiles de colza (59 %) et de sésame (40 %), l’avocat (12 %) ou encore les cacahuètes (25 %). Entre autres. Ces apports en gras sont à équilibrer avec les autres, tout en étant particulièrement intéressants : pour la santé, en venant équilibrer les carences en oméga-6 et -3 notamment, et pour la cuisson, en supportant bien de hautes températures (comme les graisses saturées). Attention toutefois à ne pas les surchauffer car, en transformant ainsi leurs molécules, ils deviendraient des acides gras trans délétères.

Le saviez-vous ?
Une pâte à tarte, un gâteau ou des biscuits préparés à base d’huile d’olive douce seront plus intéressants pour la santé et tout aussi bons qu’avec du beurre, qui supporte fort mal la cuisson. Pour celles et ceux qui s’inquièteraient du goût, sachez qu’il disparaît complètement à la cuisson.

Il y a enfin la crème des acides gras que sont les polyinsaturés, avec leurs désormais célèbres oméga-6 et oméga-3. Ils sont essentiels, c’est-à-dire qu’ils doivent être apportés par l’alimentation, parce que l’organisme ne sait les fabriquer. Ils le sont aussi et surtout pour permettre une bonne structure des cellules, un bon équilibre du système hormonal et une synthèse (la fabrication) suffisante de médiateurs d’inflammation (oméga-6) ou de non-inflammation (oméga-3). Ces médiateurs, qu’on appelle prostaglandines, servent en effet à réguler les réactions inflammatoires lorsqu’il s’en produit ou, au contraire, s’il en nécessite une (suite à une coupure par exemple). Les oméga-3, sous leur forme végétale, interviennent dans l’activité anti-inflammatoire et la fluidité sanguine, ils sont donc préventifs des maladies cardio-vasculaires. Ils permettent aux cellules de se régénérer et d’échanger correctement entre elles. Sous leur forme marine, ces oméga-3 contribuent à un bon fonctionnement cérébral, cardiaque, hormonal ou encore, immunitaire. Les oméga-6, eux, participent à la synthèse des prostaglandines, ces médiateurs d’inflammation, et favorisent la dilatation des vaisseaux sanguins, qui permet de réduire la tension artérielle notamment.

Des carences en oméga-3 entraînent, entre autres et en outre, une rigidité membranaire qui tend à diminuer les transmissions nerveuses et hormonales, par conséquent et notamment, à augmenter stress et anxiété.

Les sources sont issues du monde végétal ou marin :
– l’huile de lin, avec 66% d’AGPI, dont 53 % d’oméga-3 et 13 % d’oméga-6,
– l’huile de chanvre, avec 60 % d’oméga-6 et 25 % d’oméga-3,
– les noix séchées, 36 % d’oméga-6 et 7,5 % d’oméga-3,
– l’huile de tournesol, avec 56 % d’AGPI, dont 56 % d’oméga-6 et moins d’1 % d’oméga-3.
Il y a aussi l’huile de périlla, les graines de chia, à condition d’être moulues, les algues, les coquillages, les crustacés et les poissons gras, à préférer petits (sardine, maquereau, chinchard, hareng, bonite, foie de morue, etc.), bien moins exposés aux métaux lourds que les plus gros (saumon, thon).

Le saviez-vous ?
Les huiles végétales riches en oméga-3 sont fragiles, du fait d’être péroxydables, c’est-à-dire facilement dénaturées par l’oxydation de l’air, de la lumière ou de la chaleur. Ainsi devenues rances, elles deviennent plus nocives que bienfaisantes. Aussi sont-elles à consommer crues et ne doivent pas être chauffées, achetées dans des bouteilles en verre teinté et conservées au frais. Plus elles sont riches en oméga-3, plus elles sont à consommer rapidement.

Préférez, en outre, des huiles végétales vierges, non raffinées, et issues d’une première pression à froid.

(Encore) une histoire d’équilibre

Les recommandations en termes de rapport oméga-6/3 sont aujourd’hui bien peu respectées. La naturopathie appelle à équilibrer à hauteur de 3, voire 4 parts d’oméga-6 pour une d’oméga-3. Or, la plupart des mangeurs, et plus encore les végétarien.nes, consomment souvent trop d’oméga-6 et 9, et pas suffisamment d’oméga-3. Lorsqu’on reprend nos exemples plus haut, nous constatons que l’huile de chanvre, avec ses 60 % d’oméga-6 et 25 % d’oméga-3, a un ratio intéressant. C’est aussi le cas de l’huile de colza, avec 30 % d’AGPI, dont 21 % d’oméga-6 et 9 % d’oméga-3, soit quasiment 1 pour 2.

L’apport calorique en acides gras (tous confondus) recommandé chaque jour est d’environ 30 à 40 % pour les adultes, davantage pour les enfants (jusqu’à 45 %). Il se répartit ainsi :
– environ 8 % d’acides gras saturés (AGS),
– environ 20 % d’acides gras mono-insaturés (oméga-9 et -7),
– environ 5 % d’acides gras polyinsaturés (oméga-6 et -3).

Nous avons besoin des trois et d’en consommer en quantité recommandée. Il n’en est pas un qui est mauvais, sinon les acides gras trans industriels en grande quantité. Les effets des AGS, souvent décriés pour leurs risques de maladies cardio-vasculaires et l’augmentation du « mauvais » cholestérol (LDL), ne sont pas avérés, du moins, la science peine à trancher tant que la consommation reste modérée.

Aparté sur…
Le régime cétogène est, nous semble-t-il, à réserver aux personnes souffrant de pathologies spécifiques (épilepsie, maladies neurodégénératives, certains cancers). Cette diète préconise de consommer des graisses jusqu’à 90 % (avec 8 % de protéines et 2 % de glucides). Le risque est alors grand d’acidifier et ainsi, d’abîmer son organisme.

En revanche, il peut être très intéressant, afin de rééquilibrer un désordre hormonal ayant entraîné une prise de poids :
– d’augmenter sa part de gras (jusqu’à 50 %), en prenant soin de les équilibrer,
– de réduire ses portions de glucides (25 %),
– de consommer 25 % de protéines, variées elles aussi,
– en mettant au centre de ses repas plus de la moitié de légumes (crus et cuits).

En définitive, il s’agit d’apporter à son corps ce dont il a besoin : un peu de tout, en quantité raisonnable, entier, de qualité, de saison, végétal plutôt qu’animal et au moment où il en a besoin. Le tout désormais gracieusement huilé.

Texte : Julie Lioré
Illustrations : Manon Radicchi

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