Les champignons, une espèce à part

Ni végétaux, ni animaux, aériens et sous-terrain, dotés de pouvoirs écologiques et de propriétés thérapeutiques incroyables, antidotes ou poisons, à la fois banals et encore si mystérieux, les champignons sont un monde en soi. Nous parlerons ici des champignons comestibles. Les vénéneux ou mortels seront prudemment mis à l’écart.

La douceur et l’humidité de l’automne sont propices au développement des champignons. Certains poussent avant les premières gelées, d’autres après et plus rares sont ceux que l’on peut cueillir jusqu’en hiver. Les champignons rassemblent pas moins de 100 000 espèces, dont nous ne connaissons qu’environ 10 % : cèpes bronzés ou de Bordeaux, chanterelles communes, en tube ou en entonnoir, bolets des pins ou à pied rouge, lactaires améthyste, délicieux ou vache rouge, hydnes pied-de-mouton ou hérisson, pleurotes en forme d’huître, oreilles de Juda, sans oublier l’incontournable trio asiatique shiitake, reishi et maitaké, etc. Ils peuvent pousser cachés, ou pas, sur le tronc ou au pied d’arbres vivants ou bien morts, dans les bois, le long des ruisseaux ou des chemins, dans la mousse ou la prairie, sur un tas d’aiguilles ou de feuillus en décomposition. Voici pour leur partie visible.

Leur partie immergée et la plus noble, le mycélium

La partie souterraine des champignons s’appelle mycélium. Ce sont leurs filaments blancs, longs et fins, qui poussent à environ 10 à 20 cm sous terre d’où ils puisent les minéraux, mais pas seulement.

Ce mycélium est d’abord capable de communiquer, en réseau, avec son environnement végétal immédiat, arbres et autres végétaux. En somme, les champignons ont développé, bien avant l’homme, un réseau de communication complexe et performant. Et ce réseau ne se limite pas à un échange d’informations. Le mycélium sait aussi dégrader la cellulose des matières organiques (feuilles mortes, bois mort, etc.), qu’il transforme en sucres digestibles, au poids moléculaire bien plus absorbable (une fonction dite saprophyte). Une partie de ces nutriments permet au champignon de se nourrir, une autre est acheminée, via ce réseau et telle une interface nutritive, vers les arbres et végétaux voisins. Le mycélium décompose aussi ces matières organiques pour en faire du humus, une sorte d’engrais naturel, nourrissant, indispensable à la terre et à la vie dans la terre.

De la même manière, le mycélium absorbe, puis dégrade un certain nombre des déchets qu’il trouve sur son chemin, qu’ils soient organiques, mais aussi synthétiques, comme des morceaux de plastique et autres matériaux fabriqués par l’homme. En somme, il est une sorte d’usine enzymatique, essentielle au monde végétal ainsi régénéré. Comme le foie, le mycélium détoxifie et dépollue là où il est, la nature. Les champignons sont, en définitive, en symbiose avec elle, comme ils le sont avec nous, à travers les milliards de champignons (ici, des bactéries) qui colonisent notre microbiote.

Un remède vieux comme le monde

Les pharmacopées chinoise et plus largement asiatique, amérindienne ou encore océanienne ont, depuis des siècles, eu recours à certaines variétés de champignons pour soigner ou procéder à des rituels religieux, magiques ou chamaniques.

La science aussi sait, aujourd’hui, qu’une même variété peut posséder des centaines de substances bio-actives. Les propriétés thérapeutiques en mycothérapie, médecine (non conventionnelle) par les champignons médicaux ou extraits de ces champignons à des fins médicales, couvrent tous les systèmes du corps humain : cardio-vasculaire, pulmonaire, cutané, musculaire, digestif, nerveux, hormonal ou encore et surtout, immunitaire. Certains champignons ont, pour la plupart, des propriétés immuno-stimulante, anti-inflammatoire, antioxydante, anti-tumorale, cardio- ou hépato-protectrice, anti-bactérienne, anti-parasitaire, antibiotique (contre la vie) ou plutôt, eubiotique (pour un retour à la vie).

Prenons le shiitake, deuxième champignon le plus cultivé au monde après celui de Paris, appelé plus savamment Lentinula edodes, lentin du chêne ou comestible, et plus trivialement, champignon parfumé. Ses propriétés, connues depuis des millénaires au Japon et confirmées par la science contemporaine, sont telles qu’il y aurait, sur le shiitake, un article à part entière à écrire. Condensons. Le shiitake rassemble toutes les propriétés énumérées plus haut, et plus spécifiquement celle d’avoir une action majeure sur l’immunité innée et adaptative, en stimulant l’activité de certaines de leurs cellules. Il a aussi la capacité de traiter, non des moindres, le papillomavirus humain (HPV) ou la maladie de Lyme (en synergie avec ses copains Maitaké et Reishi). Entre autres.

Toutefois, il ne suffit pas de manger matin, midi et soir une belle assiette de champignons shiitake pour se soigner ou prévenir la maladie, mais de le prendre sous forme d’extrait, et non pas du champignon lui-même, mais de son mycélium ou encore, de son appareil reproducteur (sporophore). Ou alors, s’il est administré en intraveineuse. C’est là une question de biodisponibilité.

Les principes actifs des champignons dits médicinaux sont, en effet, peu assimilables lorsqu’ils sont consommés tels quels, du fait de leur teneur en chitine, un composé qui nuit tout simplement à une absorption correcte et suffisante de leurs principes actifs, à visée thérapeutique. Le poids moléculaire des sucres (polysaccharides) du champignon est tel que le tube digestif n’est pas en mesure de les absorber en l’état.

Ce qui ne doit pas empêcher de manger des champignons, shiitake ou autres, tant pour le plaisir que pour leurs apports nutritionnels tout à fait honorables : des protéines, tous acides aminés compris, des vitamines, des minéraux, des oligo-éléments, de l’ergostérol (précurseur de la vitamine D), des fibres, des antioxydants tels que des phénols et de l’ergothionéine (que l’organisme ne sait synthétiser), des enzymes (protéases), quelques acides gras essentiels et si peu caloriques. Les champignons sont surtout riches en polysaccharides, rappelez-vous, ces fameuses très longues chaînes complexes de sucre, ces mêmes nutriments ou sucres digestibles que le mycélium distribue, une fois dégradé, à ses voisins.

Polysaccharides

Qu’est-ce que c’est ? On les appelle aussi sucres ou glucides complexes, qui rassemblent quatre substances. Les deux premières sont assimilables par l’organisme, les deux dernières ne le sont pas (elles sont, en revanche, grandement bénéfiques au microbiote) :
– l’amidon végétal, contenu dans les céréales complètes, les légumineuses, les amylacées, etc.,
– l’amidon dit animal, que le foie a « fabriqué » à partir de glucose (sucre) simple pour être stocké, sous forme de glycogène, quand l’organisme a besoin de carburant,
– les fibres solubles,
– les fibres insolubles.

Chaque espèce de champignons est dotée de sa propre combinaison de polysaccharides. Généralement trop complexes pour permettre aux principes actifs à visée thérapeutique d’être biodisponibles par voie digestive, et notamment par l’intestin nous l’avons vu, ces fibres jouent néanmoins un rôle santé majeur, en profitant notamment au microbiote qui, lui, s’en repaît goulûment.

Parmi ces fibres, il y a surtout celles appelées alpha- ou bêta-glucanes, des substances non assimilables par l’organisme. Elles sont capables, entre autres, de stimuler le système immunitaire, sa réponse tant innée qu’adaptative, de réduire le « mauvais » cholestérol et d’avoir une action probiotique. Ces fibres s’avèrent être équilibrantes et fortifiantes, en contenant elles-mêmes des bactéries, à la fois colonisatrices et protectrices au niveau du microbiote. Les polysaccharides favorisent enfin la phagocytose, autrement dit, le processus qui permet d’englober, de digérer et d’éliminer toute substance étrangère, donc potentiellement toxique. Beaucoup de champignons sont ainsi de véritables capteurs de toxines ou de xénobiotiques.

Poêlées de bienfaits

L’oreille de Juda, en stimulant le méridien du poumon, en médecine traditionnelle chinoise (MTC), est indiqué pour lutter contre les terrains allergiques et renforcer la résistance des poumons (prévention rhumes des foins et coups de froid).

L’hydne hérisson favorise la construction osseuse. Il est recommandé en cas d’ostéopénie (diminution de la densité osseuse), précurseur de l’ostéoporose, ou de fractures à répétition. Il lutte, à sa manière, contre les maladies neurodégénératives, en prévenant l’apparition de troubles légers, l’état intermédiaire entre déclin cognitif évolutif lié à l’âge et pathologies installées.

Le cèpe de Bordeaux, en plus d’être délicieux, est riche en vitamines du groupe B et agit sur la micro-circulation cérébrale, ce qui facilite grandement l’irrigation du cerveau. La plupart des champignons et le cèpe en particulier sont riches en glutathion, le plus grand antioxydant de l’organisme. Le glutathion peroxydase (GPX) est une aide majeure, en luttant contre les radicaux libres, en boostant l’immunité, en détoxifiant l’organisme de toutes sortes de toxiques circulants et en contribuant à la production d’ATP, l’énergie nécessaire aux différentes fonctions de l’organisme.

L’armillaire sera un rempart contre le stress, l’anxiété, le sommeil troublé ou encore, la spasmophilie. Associé à son congénère l’hericium, dénommé « champignon de la mémoire », les deux pourraient venir à bout d’addictions diverses (tabac, café, alcool, drogues), en accompagnant le sevrage.

Le reishi (au Japon ou ling zhi pour les Chinois) est un véritable revitalisant et renforce l’organisme à lui tout seul. En cas de fatigue générale ou du foie en particulier, de perte d’appétit, d’inflammation, d’un besoin de régénération cellulaire de fond en comble ou en période de récupération, mangez des reishi ! Il saura quoi faire et dans quel sens, grâce à son pouvoir adaptogène (propriété largement répandue chez les champignons en général), c’est-à-dire qu’il sait moduler ou stabiliser ce qui est trop (hyper–) ou pas assez (hypo–), en somme, ce qui dysfonctionne.

Oui, mais…

Nous l’avons vu, un certain nombre de principes actifs ne seront absorbés que si vous les avalez sous forme de complément alimentaire, soigneusement élaboré, à base de mycélium, sélectionné avec soin, ou de son appareil reproducteur (sporophore). La pharmacopée traditionnelle n’a toutefois pas attendu les process complexes des industriels de la mise en capsule pour soigner par les champignons dans leur forme visible, appelée le fruit.

Pour bénéficier de tout ce que les champignons ont à nous apporter, reste à les trouver de première fraîcheur, en somme, tout juste cueilli, à peine rincé et immédiatement croqué, mycélium compris. En ville, c’est compliqué. Sur les étals des marchés, ils peuvent être intéressants, ceux des supermarchés et conditionnés le sont beaucoup moins. Les informations mentionnées sur les barquettes indiquent la Date Limite de Consommation (DLC), pas celle à laquelle les champignons ont été cueillis et trop vaguement où ils l’ont été. Entre la cueillette et l’assiette, quid du temps écoulé, donc de la qualité de vos champignons. Quant à la cuisson, elle tend à achever ce qu’il restait de propriétés. Pensez, aussi riches en antioxydants, ils s’oxydent en un rien de temps et au moindre coup de chaud.

En outre, rappelez-vous le côté phagocyte des champignons : ils avalent ou captent tout ou presque sur leur passage, pesticides, métaux lourds et radioactivité compris. Les champignons sont de véritables éponges, aussi, attention à ceux que vous consommez.

En cuisine et en conclusion

Si vous n’avez pas l’occasion de croquer des champignons dans leur intégralité, lors d’une balade automnale en forêt et en ayant fait bien attention à ce qu’ils soient comestibles, vous pouvez néanmoins vous régaler de champignons frais et de qualité crus, découpés façon carpaccio, arrosés d’un filet d’huile de colza. Ils sont aussi savoureux poêlés quelques minutes dans un peu de matière grasse et, pourquoi pas, arrosés d’œufs battus en omelette, le tout, généreusement parsemé de persil frais haché. Pour les plus gourmand.e.s, une belle quantité de champignons préalablement revenus à feu doux avec des oignons et mariés à de gros morceaux concassés de châtaignes feront une merveilleuse farce de tourte, un accompagnement de tagliatelles ou encore, la base d’un risotto.

Bon appétit !

Texte : Julie Lioré
Illustrations : Manon Radicchi

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