Diversité. Chapitre 3 : Histoire et préhistoire des manières de manger

Après les nutriments, puis les aliments, nous changeons cette fois de sphère : après les sciences alimentaires (bromatologie, physiologie), les sciences humaines (histoire, anthropologie). Nous vous proposons dans cet article un petit voyage à travers l’histoire et dans le monde : depuis nos ancêtres préhistoriens jusqu’à nos jours et sur tous les continents, quelles étaient et sont aujourd’hui les manières de cuisiner et de manger ?

Dans une cuisine, qu’elle soit une pièce à part entière ou un bout de cour partagée comme en Afrique par exemple, il s’agit de découper, de trancher ou de piler, de mijoter ou de mitonner, de blanchir ou de bouillir, de cuire, de rôtir, de frire ou de griller, de fricasser ou de sauter, d’ébouillanter, d’étuver ou encore de cuire à l’étouffée, de préparer ou d’accommoder, bref, de préparer à manger, pour un, pour deux, pour trois ou beaucoup plus. Et ce, dans tous les coins et recoins du monde, puisque se nourrir est un des actes physiologiques vitaux comme respirer, dormir ou encore boire, pour les humains que nous sommes. Nos ancêtres les Australopithèques se nourrissaient de ce qu’ils trouvaient en chemin (essentiellement des végétaux de type fruits, feuilles, plantes ou racines et quelques restes de carcasses déjà bien entamées par de plus gros prédateurs). Les Néandertaliens et après eux, les hommes de Cro-Magnon, ont eu à faire face à l’ère paléolithique et froide qui était la leur : de gros besoins caloriques les ont poussés à devenir des chasseurs en plus d’être cueilleurs. Ils se sont mis à manger davantage de viande et ont appris à domestiquer le feu pour la faire cuire ou la faire sécher pour pouvoir la conserver. Après eux, il y a eu nos ancêtres directs, les Homo sapiens, les premiers à se sédentariser après des milliers d’années à se déplacer. Installés dans la durée, ils ont eu le temps et l’idée de cultiver (des céréales pour commencer) et de faire de l’élevage (porc, mouton, chèvre…). L’alimentation de l’espèce humaine – nous en profitons ici pour réaffirmer qu’il n’y en a bel et bien qu’une seule – est devenue plus riche : en céréales, en protéines animales ou encore, en produits laitiers. Les premières transformations alimentaires ont vu le jour, avec les fromages notamment. Résultats : l’Homme a connu ses premières caries dentaires, dues à sa néo-consommation de céréales et de produits laitiers, sources de glucides, mais aussi ses premières infections parasitaires, dues à la proximité des animaux domestiqués.

Fin 18e et jusqu’à l’après-guerre (fin des années 40), c’est l’avènement de l’industrialisation et de la mécanisation. Il s’agit de reprendre du poil de la bête, de nourrir ces bouches de plus en plus nombreuses ou bien citadines et surtout affamées après-guerre. En Occident, les pratiques industrielles poussent vers la sortie des pratiques agricoles locales, saisonnières et qualitatives, avec pour objectif tacite de nourrir son monde, mais aussi et surtout de voir grand, de faire du rendement et de l’argent. Exit petites fermes familiales et meuneries où l’on allait moudre son grain au moulin du village. La mécanisation avale tout pour produire plus, toujours plus. Des procédés traditionnels, on passe à des techniques de plus en plus mécanisées et avec elles, le début de la perte des précieux nutriments. En produisant plus qu’on ne consomme, il faut désormais trouver des solutions pour conserver. Les méthodes de conservation dites modernes apparaissent, se développent et se répandent. Des conserves auxquelles on ajoute du sel, du sucre pour commencer, puis quantité d’additifs par la suite, pour conserver de plus en plus longtemps. Les pains de glace cèdent aussi leur place aux réfrigérateurs et aux congélateurs. On gagne en ingéniosité, mais on perd en qualité nutritionnelle, en fraîcheur et en intégrité. Des denrées rares ou consommées une fois l’an, on passe à des produits de plus en plus disponibles et ce, toute l’année. Les famines et les disettes disparaissent, tandis qu’apparaissent les produits et les pratiques transformés, puis ultra-transformés, en tout cas industrialisés.

Des années 1950 à nos jours, en 70 ans, le monopole des produits frais et entiers a été remplacé par celui des produits laitiers, carnés, raffinés, préparés, industrialisés, ultra-transformés. Des molécules jusqu’alors inexistantes se sont par ailleurs introduites dans nos assiettes : additifs alimentaires, résidus d’engrais et de pesticides, métaux lourds, hormones de croissance, etc. La technologie a produit de révolutionnaires machines agricoles, des engrais et autres pesticides qui ont considérablement modifié le rapport à la terre et les manières de la travailler : en augmentant les rendements, le progrès, s’il en est un, a affaibli, dénutri les sols et donc les nutriments dont les végétaux se repaissent. Sauf là où l’on s’attache encore à produire en agriculture biologique, avec davantage de savoir-faire que de produits phytosanitaires.

Aujourd’hui, les terres sont appauvries, au contraire des assiettes qui sont plus chargées et plus riches qu’autrefois. Tel un vase communiquant. Terres et assiettes ont en commun, en revanche, d’être moins nutritives. En effet, l’équation apport calorique augmenté / apport nutritionnel appauvri, accentuée par la sédentarité, se résout par quantité de maladies chroniques. Une partie conséquente de pathologies qui n’existaient pas il y a encore quelques décennies. Ce déséquilibre en termes d’apports est aujourd’hui incontestablement à l’origine de surpoids ou d’obésité, parties visibles de l’iceberg, mais aussi toutes les maladies chroniques, inflammatoires, cardiovasculaires ou encore dégénératives. (Ne vous méprenez pas, les personnes en surpoids ou obèses n’ont pas l’exclusivité de ces pathologies.) Il s’agit des maladies dites de civilisation, ou plus justement comme l’écrit Anthony Fardet, d’industrialisation.

Après la préhistoire puis l’histoire, nous nous attarderons à table, prochainement, pour parler géographie et anthropologie. Nous vous parlerons de ce que l’on mange et comment, entre traditions culinaires vieilles comme le monde et nouvelles tendances qui sont, pour certaines, une résurgence d’anciennes pratiques alimentaires.

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