Il était un foie

Après un rude labeur hivernal et avec l’arrivée du printemps, le foie mérite toute notre attention et des soins appropriés pour une dépuration, dont il a généralement grand besoin.

Le foie est l’organe le plus gros du corps humain, soit 2 % du poids corporel total et en moyenne 1,5kg. Son volume peut d’ailleurs considérablement varier, jusqu’à 40 % en plein filtrage sanguin nocturne.

Bien que discret, c’est une véritable usine multi-fonctions. C’est d’ailleurs l’organe qui effectue le plus grand nombre de transformations chimiques de l’organisme. On lui en compte plusieurs centaines, la plupart vitales, et non des moindres. C’est, entre autres, par lui que le sang est filtré, donc nettoyé de ses polluants ayant franchi la barrière intestinale et naviguant dans la circulation sanguine avant filtrage. Entre 1,2 et 1,8 litre de sang transitent dans le foie toutes les 4 minutes en moyenne, soit environ 2 400 litres de sang par jour, à condition de ne pas être chargé. Mais voilà, il l’est, le plus souvent, et sans manifester son mal-être, sinon de manières détournées.

Le « Général des Armées »

L’honorable Médecine Traditionnelle Chinoise le surnomme « Le Général des Armées » et pour cause. Il assure à lui seul ou de concert avec d’autres organes ou glandes annexes des missions de la plus haute importance : traitement, épuration, transformation, distribution et stockage.

Le foie joue un rôle, plus ou moins grand, dans la plupart des métabolismes. D’abord, celui des glucides. Une fois avalés, ils sont découpés par l’enzyme consacrée (l’∂-amylase), puis transformés par le foie sous la forme de molécules de glucose, source d’énergie immédiatement disponible pour les cellules de l’organisme, celles des organes, des tissus, des muscles ou des graisses. Il produit ce glucose et le stocke, en fonction des besoins. Le foie est donc le grand régulateur de la glycémie sanguine, dont la courbe gagne à être systématiquement lissée, nous en reparlerons bientôt.

Il contribue aussi au métabolisme des protéines et des lipides (graisses), en « fabriquant » notamment des facteurs de coagulation et du cholestérol, ainsi que ses différents transporteurs (les lipoprotéines). De ce cholestérol, le foie en dégrade une partie pour produire, entre autres molécules, de la bile (stockée ensuite dans la vésicule biliaire) permettant la digestion des graisses et la si précieuse vitamine D. Enfin, il stocke une partie des lipides et joue un rôle dans le métabolisme, cette fois, de certaines hormones (thyroïdiennes en particulier).

Il est, en outre, une unité de stockage conséquente : du sang et du glucose prêt à l’emploi, mais aussi des vitamines liposolubles, A, D, E et K, ainsi que la B12, du fer et du cuivre.

Monsieur Propre

Puissant nettoyeur de l’organisme, le foie se charge de détruire un grand nombre de molécules, qu’elles soient toxines endogènes ou toxiques exogènes, ingérées ou inhalées.

En interne, ce sont les cellules sanguines et autres leucocytes (globules blancs) usés, les déchets organiques produits par les différents métabolismes de l’organisme, ainsi que les agents pathogènes neutralisés (bactéries, virus).

En externe, la liste des substances nocives à traiter s’allonge avec les années :
– médicaments et traitements médicamenteux en tous genres, une fois leur action accomplie : paracétamol, antibio-, chimio- et immuno-thérapie, etc.,
– tabac, alcool, stupéfiants,
– aliments gras ou frits et glutineux, additifs alimentaires,
– perturbateurs endocriniens,
– polluants extérieurs : résidus d’intrants phytosanitaires (engrais, pesticides), de métaux lourds, d’antibiothérapie animale et d’hormones de croissance dans les aliments d’origine animale, particules fines, etc.

En somme, le foie a de plus en plus de travail, en plus de celui pour lequel il a été conçu initialement. Sans parler du stress chronique, un mal contemporain, qui perturbe le foie déjà bien mal mené.

Les émotions et le foie, selon la Médecine Traditionnelle Chinoise

Le stress, une réaction biologique qui a sans aucun doute son utilité, provoque, entre autres, une production importante de cortisol, une hormone permettant de réagir de manière optimale face à l’objet du stress. En réaction, le foie se met à produire du glucose en quantité. En cas de stress occasionnel, c’est dans l’ordre des choses. Lorsque cet état devient régulier, voire chronique, le foie est menacé d’épuisement et mis à mal pour mener à bien ses nombreuses tâches quotidiennes.

La MTC établit un lien étroit entre le stress et le foie. L’énergie du foie est déjà, en soi, expansive. S’il est contrarié, le foie se renfrogne et son énergie vient à se bloquer, générant toutes sortes de déséquilibres, dont celui entre le Yin et le Yang. Certains facteurs sont aussi susceptibles de l’influencer : le vent, une chaleur excessive, une colère, qu’elle soit refoulée ou manifestée, une activité physique trop intensive, la digestion d’aliments hyper-toxiques (viande rouge, fritures, alcool) et le stress. Tous ont en commun de provoquer une accumulation de chaleur (Yang) au niveau du foie, entraînant un déséquilibre émotionnel. Résultat : la colère et d’autres émotions fortes comme l’agressivité ou l’irritabilité, liées au foie, se renforcent : un vrai cercle vicieux. Une solution ? Lâcher prise !

Le foie est chargé de disperser le Qi, l’énergie vitale, le plus harmonieusement possible. Or, s’il est perturbé, les différents mouvements de cette dispersion (monter, descendre, entrer, sortir) le sont aussi, ce qui engendre son lot de déséquilibres en cascade : digestif, métabolique, émotionnel, etc.

Selon la MTC, le foie contribue à la régulation de la vie psychique et émotionnelle d’un individu. Son énergie est responsable de l’affirmation de soi vis-à-vis du monde extérieur et de la capacité de chacun à réfléchir et y voir clair.

Signes de souffrances

Plus généralement, une surpression comme un engorgement du foie sont sources de symptômes divers, tant physiques qu’émotionnels. Mais c’est seulement au long court que le foie manifestera directement son mal-être par une inflammation (hépatites).

Les signes cliniques avant-coureurs sont pourtant nombreux :
– des réveils nocturnes réguliers entre 1h et 3h du matin, le créneau pendant lequel l’énergie du foie est à son apogée,
– une mauvaise haleine et/ou la langue pâteuse, notamment au réveil,
– des fringales à répétition,
– des maux de tête inexpliqués,
– de l’acné et/ou du psoriasis,
– de la rétention d’eau,
– un syndrome pré-menstruel,
– une constipation chronique, etc.

Ces alertes gagneraient à être entendues comme un SOS de la part d’un foie asphyxié par trop de substances délétères, qu’il est grand temps de nettoyer.

Mentionnons ici une autre cause de dégât hépatique, très insidieuse et devenue un grave problème de santé publique : celle d’un excès de fructose, dont l’organisme n’a aucune utilité et que le foie stocke, une fois métabolisé, sous forme de graisses. Le fructose des fruits est associé à des fibres, indispensables à l’organisme. Reste à les manger entiers, et non privés en partie (compote, confiture) ou intégralement (jus, smoothie) de leurs fibres.

En revanche, l’industrie agroalimentaire use à l’excès de cette molécule, synthétisée, hydrolysée, isomérisée et purifiée, dans un très grand nombre de produits plus ou moins ultra-transformés, à base de fructose, de glucose-fructose ou de HFCS (High fructose corn syrup), du sirop de maïs à haute teneur en fructose en français.

Or, on sait aujourd’hui qu’un excès de fructose, converti en acides gras, est à l’origine d’une accumulation de graisse dans le foie qui en devient gras, ce qui entraîne, avec l’inflammation, une stéatose hépatique non alcoolique (NASH en anglais) souvent invisible, endommageant à bas bruit et rendant l’organisme résistant à l’insuline. Cette accumulation de gras touche aussi le sang, ce qui a pour conséquence de développer une hypertriglycéridémie, donc un risque de maladies cardiovasculaires (MCV). En définitive, consommer régulièrement ce type de produits mène, doucement mais sûrement, à des ravages sanitaires (NASH, obésité, diabète de type 2, etc.).

Le foie est, par ailleurs, impliqué dans le processus de défense immunitaire. Il est, pour cela, équipé de ses propres forces spéciales, des cellules hépatiques (hépatocytes) spécifiques chargées de lutter contre toutes sortes d’agents pathogènes indésirables. Leur stratégie : phagocyter (avaler pour détruire). Encore faut-il que le foie soit en état : débordé ailleurs, il aura des difficultés à défendre la nation Organisme lors d’attaques bactériennes ou virales.

Un foie aux petits oignons

Sachant tout cela, comment soutenir et améliorer le fonctionnement de son foie, qui turbine jour et nuit ? D’abord, en dînant léger, sans surcharge, autrement dit, en évitant les aliments et boissons hyper-toxiques (viande rouge, fritures, alcool, etc.), puisque c’est la nuit qu’il procède au grand nettoyage.

Ensuite, en s’hydratant suffisamment, avec une eau de préférence filtrée, soit avec le moins possible de résidus de polluants qu’il aura, en plus, à traiter. Boire de l’eau en quantité suffisante permet au foie d’éliminer les différents déchets, en collaboration avec les reins et l’intestin. Nous parlons bien ici d’eau, la seule boisson essentielle, à boire en priorité. Si les bouillons et les tisanes sont intéressants pour maintes raisons, les secondes peuvent être déminéralisantes sur la durée. Quant aux cafés, aux jus de fruits, aux sodas et aux alcools, s’ils procurent du plaisir tout à fait légitime, ils gagnent cependant à être consommés en quantité modérée si l’on veut maintenir son foie en bonne santé. Rappelons que nos cellules sont faites d’eau, pas de tisanes ni de jus de fruits ou de café.

Enfin, la température interne du foie se situe entre 39 et 41°C, probablement la raison pour laquelle cet organe n’aime pas le froid. Or, en saison froide, placer une bouillotte bien chaude sur son foie avant d’aller se coucher est l’une des attentions bienveillantes qu’il préfère. Non seulement votre foie sera bien couvert pour travailler toute la nuit, mais en plus, si colère il y a ou il y a eu dans la journée, elle devrait fondre comme neige au soleil.

Ménage de printemps

La tendance, depuis quelques années, à tout détoxifier tout au long de l’année, à la moindre circonstance (avant l’été, après les fêtes, etc.) ressemble fort à une dérive marketing. Une fois encore, faisons confiance au bon sens et aux coutumes anciennes, qu’elles soient religieuses ou païennes. La détox, qui n’est autre qu’une pratique de nettoyage correspondant à un besoin physiologique, ne date pas d’hier, puisqu’on en retrouve le principe dans le carême chrétien et le ramadan musulman, la culture paysanne et les médecines traditionnelles (MTC, ayurvédique), etc. Même l’ours rompt son jeûne hivernal en mangeant de l’ail qui porte son nom, l’ail des ours dont on sait depuis toujours qu’il est un dépuratif de premier choix.

En plein hiver, la perspective d’une détox est un non-sens, le foie n’aime pas le froid ni qu’on procède à son endroit à un grand ménage prématuré : le nettoyage de printemps, comme son nom l’indique, se fait au sortir de l’hiver, pas avant ni pendant. En outre, la dépuration du foie est censée être préventive, or elle est le plus souvent envisagée et pratiquée de manière curative.

Le printemps est aussi la saison en résonance avec son énergie et celle des végétaux propices à l’élimination des déchets accumulés :
– ceux qui se mangent : l’ail des ours, pour nous aussi, le pissenlit, le radis noir, l’artichaut, le persil, ainsi que les carottes nouvelles et le céleri, aux vertus hépato-protectrices qui stimulent les fonctions du foie,
– ceux qui se boivent en tisane : chardon-Marie, chrysanthellum, romarin, etc.
– ceux qui se prêtent à une cure : la sève de bouleau, à la fois détoxifiante et reminéralisante, complexes phyto-thérapeutiques, etc.

La plupart de ces plantes alliées ont en commun d’être amères, peut-être parce que l’amertume provoque un réflexe de l’organisme, qui sécrète en réaction un supplément de sucs digestifs. Pensez à arroser vos salades printanières d’huile d’olive vierge hépato-stimulante et à aromatiser de romarin haché, dont l’acide rosmarinique est un excellent hépato-protecteur.

Pour finir, le foie est à ce point vital qu’il sait se régénérer spontanément, tel un lézard et sa queue, une caractéristique connue depuis l’Antiquité, à travers le mythe grec de Prométhée, dont le foie était chaque jour mangé et chaque nuit renouvelé. L’organe du printemps mérite qu’on en prenne soin, sachant que ce Général des Armées n’avouera sa défaite qu’une fois gavé.

 

Texte : Julie Lioré
Illustration : Manon Radicchi

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