Le sirop de glucose-fructose

C’est l’histoire d’un sucre ajouté synthétique, que les États-Unis ont inventé après-guerre et dont l’industrie agroalimentaire fait aujourd’hui ses choux gras ou, devrions-nous dire, nos foies gras.

Quelques mots d’histoire

Les États-Unis d’après-guerre ont connu une spectaculaire surproduction de maïs largement génétiquement modifié et ont été confrontés au dilemme suivant : que faire de tout cet excédent ? Les débouchés trouvés ont été d’utiliser cet ingrédient de base en le transformant sous la forme d’un sirop sucrant à bas coût. Les années 80 et l’avènement des soft-drinks tels que Coca-Cola® et Pepsi®, alors en pleine crise d’approvisionnement en sucre, ont joint l’utile à l’agréable pour les fabricants du dit sirop : la production a alors explosé et tout le monde était content. Depuis, les Américains ont profondément modifié leur consommation de sucre, leur état de santé aussi.

Du grain de maïs ou de blé au sirop

Les grains de céréales (cultivées localement : du maïs aux USA et, le plus souvent, du blé en Europe) sont d’abord moulus, puis séparés en différents composants. Deux d’entre eux, l’amidon et les protéines, auxquels on ajoute de l’eau, forment un mélange. Celui-ci va être centrifugé pour en séparer les deux dérivés. C’est l’amidon, un ensemble de molécules de glucose (sucre simple) reliées entre elles, qui est retenu ici. Les chaînes de molécules sont alors cassées, les liaisons détruites. L’amidon est alors hydrolysé, c’est-à-dire déstructuré, et l’on obtient ainsi un sirop de glucose. La phase suivante est celle de l’isomérisation, un processus qui consiste à utiliser une enzyme pour transformer certaines molécules de glucose en fructose, un autre sucre simple et le plus sucré des sucres naturels. S’en suivront plusieurs étapes supplémentaires pour purifier (filtration notamment) et obtenir un sirop épais et clair. Le sirop de glucose-fructose, en tant qu’ingrédient-édulcorant, est fin prêt à être employé dans quantité de boissons et d’aliments ultra-transformés, pour en améliorer, tel un additif cosmétique, la texture, la couleur ou le goût.

Que sucre-t-il ?

L’industrie agroalimentaire d’abord. Le sirop présente quantité d’avantages pour les industriels : son coût est bien moins cher et son pouvoir bien plus sucrant que le sucre de table (saccharose), sa texture liquide se mélange facilement aux autres ingrédients, il protège les aliments surgelés (les glaces notamment, en tant qu’anti-cristallisant de l’eau), etc. En somme, il sucre à bas coût et sert d’additif en conservant, en colorant, en exaltant ou en texturant.

Il sucre aussi de plus en plus de produits : les boissons non alcoolisées (sodas, boissons pour sportifs, etc.), les glaces et autres crèmes glacées, les confiseries, les confitures, les produits de boulangerie, de pâtisserie, céréaliers (céréales du petit déjeuner) et laitiers (yaourts, crèmes dessert, etc.), les condiments (type Ketchup®) et de plus en plus de produits en conserve ou emballés, etc. Même en bio, le sirop de glucose-fructose est autorisé et de plus en plus présent, notamment dans les goûters à destination des enfants.

Jusqu’en 2017, la réglementation européenne limitait à 5 % ce sirop dans la production totale, depuis, les quantités explosent.

En petites lettres, sur les étiquettes

Le sirop de glucose-fructose s’immisce dans la recette de plus en plus de produits ultra-transformés, mais attention, pas toujours sous le même nom. Il peut aussi s’appeler « isoglucose » (quand le sirop contient plus de 10 % de fructose), « sirop de fructose-glucose » (quand sa teneur en fructose dépasse 50 %), « sirop de maïs à haute teneur en fructose » ou HFCS (High fructose corn syrup), sa version anglo-saxonne quand il contient 42 ou 55% de fructose, ou encore et simplement « sucre inverti ».

D’un sirop à un autre, les proportions de glucose et de fructose sont fortement variables, sirop qui contient par conséquent un surplus de molécules libres, de l’un ou de l’autre, pouvant générer du stress oxydatif. Nous vous invitons à lire, à ce sujet, notre article sur les antioxydants et les radicaux libres.

Du sirop dans les tuyaux

Vous pourriez penser que ce sirop n’est rien d’autre que du sucre liquide, sucre dont on sait aujourd’hui que, lorsqu’il est consommé en excès, a des effets délétères sur la santé. Or, glucose et fructose ne sont pas métabolisés de la même manière, leurs effets sur l’organisme sont donc différents. Il se trouve que les deux molécules n’empruntent pas la même voie métabolique. Le fructose est, en petite quantité, directement et rapidement absorbé et transformé en glucose au niveau intestinal, d’où son IG faible. Mais il est surtout transporté dans le sang, par la veine porte, direction le foie. Le métabolisme du fructose ne dépend donc pas de l’action de l’insuline, régulatrice de la glycémie, contrairement au glucose, dont la concentration sanguine est contrôlée par l’hormone pancréatique et utilisable par l’ensemble des tissus de l’organisme. Le glucose entraîne une cascade de réactions hormonales, autrement dit, des informations envoyées au cerveau (insuline → glycémie, leptine → satiété), tandis que le fructose n’a qu’un faible effet sur leur sécrétion. Ce sucre-là, en quelque sorte, hors contrôle, n’appellerait-il pas le sucre plus encore que les autres et ne tendrait-il pas à entraîner, de fait, une véritable dépendance ?

On sait aujourd’hui qu’un excès de fructose, alors converti en acides gras, est à l’origine d’une accumulation de graisse dans le foie qui, de fait, devient gras, ce qui entraîne, avec l’inflammation, une stéatose hépatique non alcoolique (NASH en anglais). Cette accumulation de gras touche aussi le sang, ce qui a pour conséquence de développer une hypertriglycéridémie, donc un risque de maladies cardiovasculaires (MCV). La leptine, l’hormone de la satiété, est en partie produite par le tissu adipeux et agit au niveau du cerveau pour réduire la prise alimentaire. La science s’interroge : trop de tissus adipeux ne risque-t-il pas d’entraîner une résistance à l’action de la leptine ? En effet, le fructose est aujourd’hui controversé : en ne stimulant pas suffisamment la satiété, autrement dit, en ne rassasiant pas, une consommation régulière et excessive de fructose présenterait un risque de syndrome métabolique (surpoids puis obésité et maladies associées : diabète de type 2, NASH, MCV, etc.). En outre, un excès de graisse ne peut plus suffisamment ni correctement être pris en charge par les mitochondries (centrales énergétiques des cellules), qui permettent un bon catabolisme.

Le fructose est pourtant un sucre naturel, celui des fruits et du miel, sauf que ceux-ci ne contiennent pas uniquement du fructose, mais aussi quantité de fibres (fruits) et d’antioxydants (fruits et miel), des micronutriments protecteurs. En outre, le fructose des fruits et du miel n’est pas le résultat de moult process industriels, tels que hydrolyse, isomérisation et purification. Il est ici naturellement et intégralement présent et intégré dans une matrice qui, associée à la mastication, entraîne une meilleure satiété. Le sucre des fruits consommés entiers et du miel n’est donc pas vide de calories ni trop rapidement absorbé par l’organisme du fait d’être associé à des micronutriments protecteurs. Le sirop de glucose-fructose peut alors, si on n’y regarde pas de plus près, présenter une image « santé », une image usurpée.

Aujourd’hui, comme depuis longtemps aux États-Unis, où sévissent épidémies d’obésité, de diabète dit gras et de stéatose hépatique, l’industrie agroalimentaire en Europe a de plus en plus massivement recours au sirop de glucose-fructose pour l’appétence artificielle qu’il provoque, mais aussi, collatéralement, les maladies dites d’industrialisation.

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