Éloge de la mastication

Il ne s’agit pas de mâcher chaque bouchée 50 fois façon Georges Ohsawa, le père de la macrobiotique dans les années 50, mais suffisamment pour obtenir la consistance d’une bouillie de bébé avant d’avaler. Aurait-on oublié ce principe majeur pour être et rester en bonne santé ?

Il semble que oui. La faute à l’habitude, au j’y pense jamais, au manque de temps, aux écrans qui monopolisent l’attention et tant d’autres prétextes pour ne pas suffisamment mâcher. Pourtant, on oublie trop souvent combien la mastication est cruciale pour correctement digérer et préserver sa santé intestinale, en somme, sa santé tout court.

Le mécanisme (censé être bien huilé)

Cette première étape de la digestion, dans la bouche, est mécanique et volontaire, tandis que les suivantes sont chimiques et hors de notre contrôle, puisque prises en charge par notre système autonome.

Dans la bouche, nous avons des dents qui ne servent pas seulement à faire de jolis sourires sur la photo. L’Homme en est doté, en principe, de 28 à 32 si les dents de sagesse l’ont été, et ce n’est pas fait pour les poules (qui elles n’ont pas de dents, mais un jabot pour ramollir leurs aliments) : des incisives qui coupent, des canines qui déchiquettent, des molaires et prémolaires qui mastiquent. Mais les dents seraient bien en peine sans la salive, que nos glandes salivaires sécrètent jusqu’à 2 litres par jour.

La salive est stimulée par plusieurs facteurs, à commencer par l’odeur, la vue ou le toucher d’un aliment ou d’un plat appétant. Mais c’est surtout en mâchant suffisamment que la salive est produite. Elle facilite la déglutition en lubrifiant la bouchée en direction de l’œsophage, désacidifie les aliments acides pour protéger l’émail des dents et les enzymes digestives sensibles à l’acidité, et prévient d’éventuelles attaques bactériennes. La salive est surtout essentielle pour pré-découper l’amidon des féculents et des céréales (pain, pâtes, etc), grâce à ses enzymes digestives appelées amylase ou ptyaline.

Quand on ne mâche pas assez…

Ce temps buccal est le premier de la digestion, que l’on pourrait comparer aux toutes premières notes d’une partition de musique, à l’étape n°1 d’une chaîne de montage ou encore, à un sprinter agenouillé sur son starting-block. Si le démarrage est loupé, la suite ne pourra être que laborieuse.

Manger tout rond ou presque prive d’abord du plaisir gustatif de ce que l’on mange. En effet, la mastication révèle arômes et saveurs, grâce à la langue qui a ainsi le temps d’analyser ce qui est si bon, ou l’est moins. Mâcher, c’est aussi apprécier la texture des aliments.

Mastiquer, un coup à droite, un coup à gauche, renforce les muscles buccaux et stimule les gencives, ce qui maintient leur bonne implantation. Les aliments à index masticatoire élevé, c’est-à-dire entiers, dont la matrice est restée intègre, participent à prévenir plaque et caries dentaires. Plus on mâche, plus on produit de salive et plus le milieu buccal est alcalin, donc régulateur de l’équilibre acide-base.

Par aliments entiers, nous entendons ceux qui requièrent d’être mâchés a minima : une pomme ou une carotte crue, des haricots verts cuits al dente, des amandes, un steak non haché, etc. La matrice d’un aliment, restée intègre ou peu altérée, permet de conserver ses fibres lorsqu’il en contient, des fibres qui lissent la glycémie d’un repas et favorisent la satiété. Au contraire, plus la texture d’un aliment est molle, nécessitant peu de mastication, comme le pain de mie ou la purée, plus ils sont glycémiants et moins ils sont satiétogènes. Pourtant, comme nous y invite un précepte plein de sagesse oriental, les aliments solides gagneraient à être « bus » (entendez suffisamment mâchés) et ceux liquides, à être « mangés » (gardés en bouche un bref instant).

Pour terminer sur les fibres, seuls le broyage et la salive permettent de pré-dégrader une partie de la cellulose qu’elles contiennent. Nous ne sommes pas pourvus de l’enzyme capable de la digérer entièrement, mais la nature est bien faite : les micro-organismes de notre microbiote s’en repaissent avec appétit.

En raison d’un manque de mastication, et plus encore lorsqu’on a tendance à manger mou ou liquide, les messages envoyés depuis la bouche, l’œsophage ou l’estomac au cerveau, via des neurotransmetteurs comme la leptine ou hormone de la satiété, risquent d’être mal délivrés, un peu comme quand vous recevez un « delivery failure » dans votre boîte mail. Ainsi, vous mangez davantage, l’alerte « repu.e » n’étant pas donnée, ou tardivement. Le surpoids est l’une des conséquences de ne pas mâcher suffisamment.

Les répercussions à court terme peuvent être inconfortables, à plus long terme, pernicieuses. Les gros morceaux mal découpés dans la bouche arrivent tels quels dans l’estomac, contraint de travailler davantage. La vidange gastrique est ralentie, les risques de remontées gastriques accrus. Résultat, des reflux bien embêtants. Ces mêmes morceaux, notamment composés d’amidon qui n’ont pas été correctement dégradés dans la bouche par l’amylase, finissent dans le côlon ascendant (côté droit), haut-lieu de la flore de fermentation : inconfort digestif garanti (ballonnements ou flatulences, voire les deux).

Le plus problématique reste probablement le risque de malabsorption des précieux micro-nutriments (vitamines, minéraux, oligo-éléments), aussi protecteurs qu’indispensables. À moyen terme et à force de molécules insuffisamment dégradées parvenant au niveau de l’intestin grêle, les jonctions de celui-ci finissent par se desserrer et devenir poreuses. Cette barrière intestinale altérée laisse alors passer tout et n’importe quoi, ce qui entraîne des carences, mais aussi des allergies ou hypersensibilités alimentaires et des maladies auto-immunes. En outre, mâcher suffisamment permet d’économiser de l’énergie physiologique pour autre chose que digérer des molécules mal découpées.

Voilà pourquoi le bon sens paysan invite à prendre le temps de bien mâââcher, afin de laisser le temps à nos enzymes de faire leur travail correctement, à savoir de découper en touts petits petits morceaux qui eux seuls pourront passer la barrière intestinale sans risquer de tout abîmer. Sachez en outre que si vous devez manger des aliments de piètre qualité, contenant des résidus de pesticides et autres molécules peu engageantes, les mastiquer jusqu’à en faire une bouillie préviendra en grande partie leurs effets délétères sur la santé.

Les solutions !

Pour optimiser cette première étape cruciale, il existe plusieurs astuces, à commencer par s’asseoir pour manger, avec un minimum de temps et sans écran, dans la mesure du possible en pleine conscience.

Vous pouvez aussi vous amuser à poser votre fourchette entre chaque bouchée, en guise d’alerte « je penser à bien mâcher chaque bouchée ». Nous passons vite sur la smart-fourchette vibrante, fliquant chacune de vos bouchées (quantité, fréquence, etc.). D’abord, les composants pour fabriquer celle-ci sont toxiques pour la santé de la planète, comme celle des travailleurs – souvent des enfants – des pays où ils sont extraits. Ensuite, ce genre de produits contribuent à rendre l’humain ce qu’il n’est pas au départ : servile.

Essayez aussi la cohérence cardiaque, avant chaque repas (avec, par exemple, l’application RespiRelax+). Quelques minutes suffisent et vous gagnerez en confort en tout genre : émotionnel, digestif, physique, etc. Cette pratique de respiration simple comme bonjour stimule le nerf vague qui favorise, entre autres, une bonne digestion, favorable à chaque étape : mécanique et chimique, enzymatique et hormonale, métabolique, etc.

Enfin, munissez-vous de patience : le cerveau a besoin de trois semaines, quelquefois davantage, pour enregistrer une commande, pour des bienfaits qui dureront toute la vie.

 

Texte : Julie Lioré
Illustration : Billie et Manon Radicchi

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