L’ail noir, umami et vertueux

L’ail noir est, sans conteste, un condiment à part. Si son origine est incertaine, son aspect laissant dubitatif, sa surprenante couleur noir charbon, sa curieuse texture, son goût indescriptible et ses bienfaits sur la santé méconnus, une chose est sûre : l’ail noir mérite que l’on s’y arrête.

Caramélisation naturelle

Qui ne connaît pas l’ail noir pourrait penser que cette version noircie de l’ail blanc est tout simplement pourrie. Pas du tout. Ce condiment, connu de longue date dans la cuisine et la pharmacopée asiatiques, est issu d’un lent processus de maturation dans des conditions bien spécifiques (chaudes et humides) de l’ail blanc (Allium sativum), que nous connaissons bien. L’ail noir n’est donc pas une variété d’ail particulière ni le résultat d’une fermentation, puisqu’aucune activité bactérienne n’a lieu, mais une sorte de caramélisation naturelle.

Ce processus, à l’origine dit-on d’une tentative (par un Japonais) de conserver toute l’année des têtes d’ail frais en les oubliant dans une jarre d’argile remplie d’eau de mer, a magiquement transformé l’ail blanc en ail noir, un peu comme Clark Kent en Superman. Ce faisant, l’ail s’est métamorphosé, d’abord par un brunissement enzymatique, suivi d’une réaction dite de Maillard, qui ont conduit les petites gousses à se doter de composés devenus stables, qui ne l’étaient pas dans leur version blanche (donc déplaisants). Parmi eux, l’alliine en partie responsable de l’odeur et de l’haleine quelque peu repoussante qui en résulte quand on a mangé de l’ail qui, en se stabilisant, est inhibée.

Un super aliment à la cape brune

Ses composés
actifs :
– des phénols
– des flavonoïdes
– du pyruvate
– du S-allylcystéine (SAC)
– du 5-hydroxyméthylfurfural
(5-HMF)
– des vitamines,
des minéraux,
des oligo-éléments

L’ail noir potentialise toutes les vertus, nombreuses, de l’ail frais, sans les inconvénients de ce dernier (mauvaise haleine, douleurs abdominales ou inconfort digestif). Ses composés organo-sulfurés et ses enzymes actives sont bien connus pour leurs propriétés antioxydantes, et notamment l’allicine, la plus riche en antioxydants que compte le règne végétal, antibactérienne et potentiellement anticancer. D’ailleurs, le score TEAC de l’ail, qu’il soit blanc ou vieilli, est impressionnant.

Nous l’avons vu ailleurs, l’excès de stress oxydatif fait de gros dégâts sur les cellules et tissus de l’organisme, ce qui a la fâcheuse tendance à entraîner toutes sortes de pathologies et à accélérer le vieillissement prématuré. Les puissants antioxydants de l’ail neutralisent fortement les effets des radicaux libres. Ils seraient aussi intéressants pour prévenir le cancer du côlon, ainsi que le diabète et ses complications une fois installé, en améliorant la glycémie, le taux d’hémoglobine glyquée et la résistance à l’insuline. Les propriétés de la petite gousse fermentée inhibe, rapporte une étude, la croissance des cellules cancéreuses du gros intestin.

L’allicine, une molécule depuis longtemps tombée dans le domaine publique, ne peut plus faire l’objet de dépôts de brevets et ne présente donc plus aucun intérêt pour les laboratoires pharmaceutiques, qui n’investissent pas (études, essais cliniques, perspectives de traitements médicaux) quand ça ne rapporte rien.

L’ail noir est aussi vertueux pour la santé cardiovasculaire, ses composés protègent le cœur, mais aussi le foie et les reins. Sous sa cape charbonneuse, la petite gousse moelleuse diminue le « mauvais » cholestérol (LDL) et améliore le profit lipidique mieux et plus naturellement que les statines, dont on connait aujourd’hui les effets secondaires délétères.

Véritable concentré d’ail blanc, l’ail noir est en outre un atout pour l’immunité et contre l’inflammation (sous la forme d’extrait ou consommé en grande quantité). Son action antivirale renforce le système immunitaire, à l’aide de macrophages et de natural killer (NK), réputés impitoyables pour régler leur compte aux agents pathogènes de toutes sortes pour les uns et aux cellules infectées ou tumorales pour les autres. Par ailleurs, deux de ses composés (pyruvate et 5-hydroxyméthylfurfural) ne sont autres que des anti-inflammatoires naturels, capables d’inhiber les médiateurs de l’inflammation et, ainsi, de participer à lutter contre certains processus inflammatoires d’origine pathologique.

Une saveur et une texture atypiques

Le goût de l’ail noir n’est pas simple à décrire. D’abord parce que, selon la variété d’ail frais à partir duquel il est préparé, la saveur est amenée à changer (note de truffe, de pruneaux, de fruit confit, de réglisse ou encore de café). Ensuite, parce que cette dernière est tellement subtile, que les Japonais ont classé cet ail « vieilli » dans la catégorie « umami », la cinquième saveur japonaise, contenant à la fois les aliments inclassables et surtout, les plus délicieux.

La texture de l’ail noir est aussi singulière que sa saveur. On dirait un petit morceau de caramel mou, qu’il est judicieux de mastiquer le plus longtemps possible pour en saisir toutes les nuances. En somme, le goûter est une aventure et ce, à chaque dégustation.

Ça se mange comment ?

Nous l’aimons nature, comme on mange un bonbon, mais il est possible d’utiliser l’ail noir comme d’autres condiments : cru et nature tartiné sur une tranche de bon pain, incorporé dans une vinaigrette pour salade ou une sauce pour légumes poêlés, poisson blanc ou pommes de terre vapeur, ou encore dans la préparation d’un risotto. L’ail noir relèvera sans nul doute vos mets préférés.

De l’ail noir fait maison ?

L’ail noir est un peu cher et pas toujours évident à trouver dans le commerce. Vous pouvez toutefois le réaliser vous-même, ce qui n’est pas une mince affaire. Pour cela, il vous faut un cuiseur vapeur à riz (rice cooker) et, idéalement, une pièce en extérieur dotée d’une prise de courant, nous allons voir pourquoi. Une fois les têtes entières d’ail blanc intactes soigneusement sélectionnées, placez-les dans le cuiseur et fermez le couvercle hermétiquement. Choisissez la fonction « garder au chaud » (une température constante, comprise entre 50 et 75°C, est requise, ainsi qu’un taux d’humidité entre 70 et 95 %). Oubliez cette expérience, dans la mesure du possible compte tenu de l’odeur qui s’en dégage, pendant 10 à 20 jours. En effet, la lente métamorphose de l’ail frais en ail noir n’est pas sans effluve olfactive, surtout les premiers jours. Il s’agira enfin d’oublier encore une fois vos têtes quelques jours supplémentaires, afin de les laisser rancir à l’air libre.

L’ail noir existe aussi sous la forme de gélules ou en extrait liquide, une forme de complément alimentaire pas inintéressant, nous l’avons vu, mais moins amusante et savoureuse que de mâcher cette drôle de gousse noir charbon et moelleuse.

Pour terminer, nous avons testé et recommandons l’ail noir de la marque Gaïhamsa (marque avec laquelle nous n’avons aucun lien d’intérêt), un ail noir présenté dans une tête entière cultivé et transformé en France, dans la Drôme. Bonne découverte !

Texte : Julie Lioré
Illustration : Manon Radicchi

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